

Les ressources naturelles - Christiane Vadnais
Fiche de lecture
Chez Torrents, fleuron de l’entrepreneuriat vert, chaque défi écologique trouve une réponse. L’entreprise transforme des gratte-ciel en forêts, ravive les espèces éteintes, envoie des microalgues avaler les marées noires. Clémence Saint-Pierre croit à cette mission comme à sa vie, jusqu’au jour où un problème insoluble se présente : une inexplicable zone vide au cœur du golfe du Saint-Laurent.
Cernée par des militants, une patronne impitoyable et une femme au regard de renarde, Clémence travaille sans relâche, puis quitte Montréal pour se rendre à la source du problème, au bord du golfe. Là, au milieu d’un paysage aussi miné que ses vivants, son épuisement se mesure aux pouvoirs anciens qui la lient à l’eau et à l’ampleur que peut prendre une vie lorsqu’elle transcende l’individu.
Roman choral où s’élève la voix d’une nature cyborg, Les ressources naturelles est une charge contre le capitalisme et un hommage à la beauté de ce qui, au cœur de nos échecs, persiste à vivre.
Faits saillants
Forte thématique écologique : réflexions sur l'anthropocène et critique du capitalisme vert.
Éléments d'anticipation, de science-fiction et de fantastique.
Personnages riches et uniques, dotés pour certains de pouvoirs surnaturels, et de traits transhumanistes pour d'autres.
Trame narrative décrivant la spirale de l'épuisement professionnel.
Esthétique de l'eau très présente.
Informations pédagogiques
Époque
Futur relativement proche.
Lieux
Montréal, péninsule gaspésienne.
Thèmes
Écologie, travail, productivité, innovation, relations humains – monde naturel, épuisement, transhumanisme, intelligence artificielle, capitalisme vert, pouvoir, innovation, anthropocène, monde aquatique.
Style et construction du récit
Récit découpé en quatre parties. La première est racontée du point de vue du personnage de Clémence et se passe à Montréal. La seconde est narrée du point de vue d’Alyssa et se déroule en Gaspésie. Les deux dernières donnent la parole aux créatures du golfe du Saint-Laurent et ouvrent sur l’avenir des protagonistes. Le style est poétique, faisant appel au registre naturel et aquatique.
Pistes de réflexion
Les ressources naturelles s’inscrit dans le courant littéraire de l’écofiction, dont les codes ont été définis par Jim Dwyer. Demander aux étudiant·e·s d’analyser le roman à la lumière de ces critères.
Les activités de l’entreprise Torrents, qui est au cœur du roman, sont inspirées de plusieurs technologies en émergence. Proposer, en s’appuyant sur l’actualité scientifique, un exercice d’écriture basé sur une de ces technologies afin de produire un texte de science-fiction.
Parmi les thèmes du roman ressort celui de la responsabilité générationnelle, des attitudes des différentes générations face à la crise environnementale. Organiser un débat sur l’équité intergénérationnelle en matière d’écologie.
En complément
Lectures complémentaires
Aquariums, roman de J.D. Kurtness
Triple zéro, roman de Madeleine Watt
Faunes, roman de Christiane Vadnais
Germinal, roman d'Émile Zola
Bivouac, roman de Gabrielle Filteau-Chiba
Mudwoman, roman de Joyce Carol Oates
Naissance d'un pont, roman de Maylis de Kerangal
Vers d'autres arts
Princesse Mononoké, film d'animation d'Hayao Miyazaki
Le cygne noir, film de Darren Aronofsky
Ex machina, film d'Alex Garland
Extraits
-
Page 27
Chez Torrents, nous travaillons pour quelque chose de plus grand que nous-mêmes, pour les oiseaux, les insectes et leurs montagnes, pour les dentelles de forêts giboyeuses, les plaines vierges de mines et les rivières encore sans barrage. Nous travaillons pour la limpidité de l’air, pour les ciels très noirs, ceux qui vous absorbent jusqu’au silence, et pour le fleuve qui scintille au pied de la tour.
Nous travaillons pour la majesté du dehors, sans laquelle rien n’est possible.
Notre génération a respiré l’air forestier, l’air marin, et pourtant nous avons été des enfants anxieux, persuadés qu’une catastrophe nous guettait à chaque instant. Nos parents nous ont entraînés auprès de la Magpie et dans les hauteurs du fjord. Ils nous ont forcés à apprécier la position des astres et le chatoiement des scarabées. Nous avons connu le vertige de nous enfoncer dans les futaies anciennes, d’y rencontrer des créatures stupéfiantes, de savoir qu’à l’envers de nos pieds un autre monde, aussi vaste que le nôtre, étendait ses racines dans la terre. Puis, au retour, dans nos maisons minimalistes, les discours alarmants brûlaient comme un feu dans l’âtre.
Grâce à cette peur de la mort, nous avons voulu sauver ce qui pouvait l’être. Nos angoisses nous ont forgé un esprit performant, convaincu et conquérant.
Dans le monde dont nous avons pris possession, chaque être qui naît, humain, animal ou végétal, est précieux à tel point que nous ne laissons rien lui arriver. Nous le défendons avec tout notre élan.
-
Page 146
Avant de nous appeler Alyssa, commençons-nous, quand nous n’étions qu’une humaine solitaire, nous avons vécu un épuisement total. Une extinction de toutes nos facultés.
Programmeuse dans une grande entreprise technologique, nous étions la créatrice principale d’un logiciel qui, implanté dans le cerveau, permettrait la mise en réseau des consciences humaines. Une connexion directe entre les pensées et les sensations de plusieurs personnes, leur permettant de percevoir la réalité depuis plus d’un corps en même temps : voilà qui ferait émerger des relations d’une intimité inédite, croyions- nous. Inspirée par mille histoires de science-fiction, notre invention était si près de s’incarner dans le réel que nous avons proposé d’installer un prototype dans notre propre système nerveux : après le sacrifice d’innombrables rats, cochons et singes, il fallait nous risquer au premier essai sur un être humain.
Alors, un matin, nous nous sommes réveillée dans ce qui ressemblait à une chambre d’hôpital. Draps blancs. Murs blancs. Bruit blanc. À côté de nous, la fenêtre donnait sur de hautes tours pareilles à des jungles peuplées d’oiseaux bioniques. En tournant notre tête, nous avons eu atrocement mal, mais, comme pour la vue extérieure, nous avons reconnu le lieu : la face nord d’un laboratoire d’expérimentation californien. Nous avons reconnu ce paysage, cette chambre, non parce que nous les avions vus la veille – nous étions arrivée étourdie par les calmants –, mais parce que, grâce au logiciel, nous étions connectée à d’innombrables informations, bases de données, intelligences artificielles: l’implantation dans notre crâne avait réussi.