« Une grande part de mon travail est liée à la mémoire. Comment appréhender ce qui était jadis “en train de se produire”, et qui est désormais “ce qui s’est produit”? Comment faire cohabiter le présent avec ce qui est révolu ? »

« Je pose la peinture sur le papier et, ce faisant, je transforme le particulier

en abstraction.

Un visage devient fantôme.

Une personne devient contenant.

Et le contenant peut être possédé.

(On peut hanter ces fantômes.)

Par cette manipulation de la matière,

les fantômes deviennent nous, et nous devenons les fantômes.

Nous devenons les fantômes de notre quotidien. »

- Angela Deane (traduction : Catherine Leroux)

L’artiste américaine Angela Deane est très connue pour les fantômes qu’elle peint sur des photographies trouvées. Ces derniers se retrouvent alors intégrés dans diverses situations quotidiennes.

Dans son dernier recueil de nouvelles, Un lieu ensoleillé pour personnes sombres, Mariana Enriquez présente des personnages hantés par bien plus que des fantômes : par la douleur, par des choix ou par leur absence, par l’Histoire, par de cruels hasards.

Choisir une œuvre de Deane pour la couverture du recueil d’Enriquez paraissait à la fois logique et ludique; une métaphore aussi tendre et humaine que le regard que pose Enriquez sur les personnages de ses nouvelles.

Cependant, le choix parmi tous ces petits fantômes fut ardu. Nous en aimions tant que nous nous sommes amusé·e·s à les associer à certaines nouvelles ! Découvrez-les ci-dessous, accompagnées d’un extrait du recueil.


Mes morts tristes

I'll always stay near

« Des fantômes apparaissent à mes yeux. Viennent me trouver. »


Métamorphose

Alien Green

« On ne vous le dit pas, on ne vous prévient pas. Ça me rend dingue. La peau s’assèche, la graisse s’accumule sur les hanches, les jambes et le ventre, la cellulite augmente du jour au lendemain, et il s’avère impossible de dompter la canitie, ces cheveux morts. Ça n’arrive pas à toutes les femmes, ce qui est encore pire ; on devrait vous avertir que vous allez être dans la minorité difforme, fiévreuse et pleurnicharde. »

Exception : Cette œuvre ne fait pas partie de la série Ghost, mais de la série Aliens d’Angela Deane – un choix qui paraissait approprié dans le cas de cette nouvelle.


Un lieu ensoleillé pour personnes sombres

Float

« Elisa était une très jeune touriste qui, ignorant probablement le passé du lieu, avait réservé une chambre à l’hôtel Cecil, au centre de Los Angeles. »

« Elisa a disparu le 31 janvier : ce jour-là elle n’est pas revenue dans sa chambre et a cessé toute communication avec sa famille. On l’a retrouvée vingt jours plus tard, flottant dans le réservoir d’eau de l’hôtel, noyée, nue, tous ses vêtements et affaires personnelles dans l’eau. Un des clients avait remarqué que l’eau des robinets et de la douche était noire et, bien sûr, sentait mauvais. Elisa a pourri dans l’eau du réservoir que les clients de l’hôtel ont bue. »


Différentes couleurs composées de larmes

Ghost

« Difficile d’expliquer ce qu’on ressent quand on porte une tenue splendide. Tout change. L’expression, la posture. Si la coupe est majestueuse (et c’était le cas), on n’a plus aucun défaut (réel, ressenti ou imposé par le regard extérieur). C’est comme boire une potion magique, mordre le fruit défendu, ouvrir les yeux sur un monde possible. »


Cimetière de frigos

Let's play

« Nous n’avons rien dit, ni Daniel, ni moi. Ma mère a mentionné que le fils du fabricant de pâtes avait disparu, et ma soeur, qui le connaissait à peine (je crois, car je n’ai jamais parlé de lui), a commenté qu’il avait envie de partir, que son père le battait, quelque chose comme ça. J’avais douze ans. Gustavo, treize. Je sais que ça paraît étrange, comparé à l’attention exagérée dont on entoure aujourd’hui les enfants, mais si à l’époque partir de chez soi à treize ans était prématuré, ce n’était pas insolite. Il a sans doute été recherché. On ne m’a jamais rien demandé. »


Un artiste local

1965

« Ils aimaient monter dans la voiture, fermer les fenêtres et chanter. C’était une piètre conductrice, il s’en tirait beaucoup mieux mais comme il était distrait, chaque trajet, toujours court, était une aventure. Malgré cela, ils quittaient souvent la ville, en particulier pour visiter des hameaux en province. Ivana craignait les lieux très ouverts, mais pas les villages isolés, et Lautaro avait du mal avec la foule : par conséquent, un endroit de petite taille était une sorte de compromis parfait […]. »

« Pour ce week-end prolongé, ils avaient choisi le village de General Moore. C’était un de ceux qui s’étaient retrouvés sans gare ferroviaire dans les années 1990 et qui, à l’initiative des habitants pour ne pas être totalement esseulés et pouvoir continuer de vivre là, s’étaient lancés récemment dans le développement touristique [...]. Ivana était très enthousiaste, peut-être excessivement. Les photos étaient magnifiques. Elle avait dit à Lautaro : je vivrais bien là-bas. Même si, pensait-elle, c’était assez perdu et la population avait passé trop de temps sans voir personne. »


Yeux noirs

Shadow Puppets

« Alors que Chapa démarrait, j’ai entendu des coups contre le parebrise arrière. »

« Il y avait deux enfants dehors. J’ai d’abord été soulagée, puis je les ai mieux regardés et j’ai éprouvé une peur que je n’ai pas pu expliquer alors, ni ensuite, et ne peux toujours pas comprendre aujourd’hui. »

« Alors le plus grand a relevé la tête et j’ai vu ses yeux. Ils étaient noirs. Dépourvus de sclérotique, de pupille, d’iris ; brillants comme de l’obsidienne. Imitant le premier, l’autre a également relevé la tête. Il avait deux trous noirs à la place des yeux, qui reflétaient la lumière et moi-même. »

Mariana Enriquez (trad. Anne Plantagenet)

Un lieu ensoleillé pour personnes sombres

«Comme toujours avec Mariana Enriquez, la fiction est aussi un miroir social puissant, où l’horreur révèle autant qu’elle effraie.»

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