Alex McCann crédit Justine Latour


Le protagoniste du roman Saint-Nicolas-des-Marins est fils de sorcière. Cette filiation lui impose un destin auquel il répond volontiers. Si son auteur, Alex McCann, ne connaît pas un tel lot, il croit néanmoins en une forme de fortune. Il vous présente ici les synchronicités – ou coïncidences significatives – qui ont accompagné l’écriture de ce premier roman, comme autant d’encouragements lui induisant qu’il était sur la bonne voie.

« Je voulais écrire ce vrai qui ne surgit que dans l’invention, qui naît lorsqu’on admet qu’on ne vit que d’histoires, de mondes imaginaires et de récits échafaudés. »

                          - Catherine Leroux, Peuple de verre

Je n’ai jamais cru aux coïncidences.

Bien sûr, comme tout le monde, j’ai vécu mon lot de moments étonnants et de circonstances inattendues, mais je n’ai jamais pu me résoudre à n’y voir que le simple fruit du hasard.

Au contraire, chaque fois que je croise quelqu’un que je connais et que je n’ai pas vu depuis longtemps, chaque fois que j’attrape le métro ou le bus juste au bon moment, chaque fois que la radio joue le ver d’oreille qui était justement pris dans ma tête à cet instant précis, j’entends mon grand-père qui me répète avec sagesse : « Alex, ce qui est fait est bien fait. » Et alors, je me mets à croire au destin.

**

Au printemps 2022, je suis en plein déménagement : je quitte Montréal. Une des dernières choses que je fais avant de partir est d’aller consulter une voyante avec ma mère et mes sœurs. Je fonde beaucoup d’espoir dans cette consultation, car j’ai la tête pleine. Je pense à toutes ces boîtes de livres qu’il me faudra soulever, à mon chat qui déteste la voiture et qui devra supporter un trajet de plus de deux heures, je pense au ménage à faire, au camion à louer, aux meubles à transporter, aux clés à récupérer et je suis habité par l’angoisse.

En arrivant chez Manon, je sais tout de suite qu’elle n’a rien d’une voyante traditionnelle. Son bureau est décoré sobrement, il n’y a ni tentures de velours ni bibelots d’anges. Un rafraîchisseur d’air à l’odeur de « brise printanière » fait office d’encens, et à la place de la musique New Age règne un silence étouffant. Lorsqu’elle commence, elle s’assied bien droite devant moi. Sans s’arrêter, en fixant un point juste au-dessus de ma tête, Manon parle. Moi, je prends frénétiquement des notes.

Abordant mon déménagement, Manon calme rapidement mes angoisses et m’assure de ne pas m’en faire. De toute façon, ajoute-t-elle, je devrai m’y habituer, car ce ne sera pas mon dernier (elle avait vu juste). Puis, d’un coup, elle arrête de parler et, pour la première fois, ses yeux se posent sur moi. « T’écris, toi. »

Ce n’était pas vraiment une question, mais je réponds quand même un « oui » timide.

Elle plisse les yeux : « C’est bizarre, je vois que t’écris, mais je vois pas pourquoi tu finis pas ton projet. Je pense que c’est toi le problème. Assieds-toi, finis ton livre, pis ça va marcher. »

Cette phrase, je l’ai notée dans mon cahier. J’y suis revenu tous les jours où j’ai écrit Saint-Nicolas-des-Marins. Chaque fois où je me décourageais, chaque fois où je n’avais plus confiance en moi ou en mon texte, je me rappelais les mots de Manon et je reprenais l’écriture, motivé tant par la magie de l’histoire que par celle qui semblait être à l’œuvre dans la création du livre.

Le destin était de mon côté.

**

En décembre 2019, j’essaie d’écrire un mémoire de maîtrise, sans vraiment y parvenir. Je me réfugie alors dans la fiction, je retourne au manuscrit de mon roman, mais je me bute encore au même problème : quand vient le temps de décrire l’isolement, la solitude et l’hiver, je ne trouve pas les mots. Je ne sais pas dire l’angoisse et la tragédie d’un monde qui s’arrête soudainement. Pourtant, c’est la prémisse, posée il y a déjà quelques années. Je me répète que si je l’ai imaginée, je peux la décrire.

Quelques mois plus tard, en plein cœur de l’hiver, le monde entier cesse de tourner et retient son souffle. Les similitudes entre ce que j’écris et ce que je vis deviennent trop fortes, trop flagrantes : je reprends l’écriture.

 **

Printemps 2011. Je suis au Salon du livre de Trois-Rivières, j’ai seize ans et j’ai reçu mon premier chèque de paie. L’argent me brûle les poches, mais je sais déjà depuis plusieurs semaines comment je veux le dépenser : dans les livres. Le salon est bondé de monde. Je slalome entre les kiosques, je laisse mon regard errer d’une couverture à l’autre en évitant les yeux des auteurices, de peur de les froisser en passant mon chemin devant leurs titres. Cet après-midi-là, je ne suis finalement ressorti qu’avec un seul achat : La marche en forêt de Catherine Leroux.

Ce livre, je l’ai lu et relu des dizaines de fois. L’histoire me passionnait, les nombreux personnages me fascinaient, j’avais l’impression de les connaître toustes. Et j’étais fier de parader le premier livre que j’avais acheté moi-même, un livre qui faisait « sérieux », de la « vraie » littérature (québécoise de surcroît) et non plus les romans populaires dont raffolaient mes camarades. Aujourd’hui, cette édition soulignée, surlignée, annotée, cornée et passablement amochée a disparu, perdue dans un déménagement ou prêtée à l’ami·e d’un·e amie, mais l’œuvre (rachetée depuis, rassurez-vous) ne m’a jamais quitté.

En août 2024, quelques semaines après avoir soumis mon manuscrit chez Alto, c’est Catherine Leroux qui m’écrit pour me donner rendez-vous pour parler de mon roman.

J’ai choisi d’y voir un bon présage.

**

J’aime à penser que si Saint-Nicolas-des-Marins est né, c’est parce qu’il est la résultante d’une suite de synchronicités. Que tout ce qui m’est arrivé entre le début de l’écriture du manuscrit et la version définitive avait sa raison d’être. Que le tout est toujours plus grand que la somme des parties.

Cette façon de voir le monde, de romancer le quotidien peut sembler naïve, mais pour moi, elle est nécessaire. C’est pour cela que j’étudie la poésie et que j’écris de la fiction : pour envisager le monde autrement. Parce que je suis convaincu que plus on cherche la magie dans nos vies, plus on la trouve. Dans nos sociétés hyper rationnelles et motivées par le profit et la logique, l’acte conscient de transformer les coïncidences en synchronicités est un geste de rébellion. Et il faut choisir l’enchantement chaque jour.

Aux grincheux·se·s qui m’accuseront de m’inventer des histoires, je réponds que choisir l’enchantement ne veut pas dire vivre d’affabulations ou de mensonges. Il y aura toujours une part de fiction dans les histoires, que ce soit celles qu’on raconte aux autres ou celles qu’on se raconte à soi-même.

Après tout, on invente toujours un peu qui l’on est.

Et ce qui est fait est bien fait.

Alex McCann

Saint-Nicolas-des-Marins

Dans ce premier roman empreint d’une force poétique renversante, Alex McCann emprunte au conte les codes permettant de défier les logiques d’exclusion, les périls du conformisme et la tyrannie des fausses apparences.

Entrez dans notre histoire!

Infolettre

Programme de récompenses d'Alto Cliquez ici pour plus d'information