On traverse le livre Toute la couleur du monde de C S Richardson comme on pénètre dans les différentes pièces d’un musée. Il suffit de poser notre regard sur les différentes toiles que nous pointe Henry, le protagoniste, pour se laisser envahir par cette histoire d’amour et de deuil savamment orchestrée. Entrez-y, vous verrez.

Alto : Qu’est-ce qui vous a mené à l’écriture de Toute la couleur du monde?

C S Richardson : Même après avoir publié trois romans, je considère encore que je suis en apprentissage de l’art de la fiction. À chaque projet, je m’efforce de peaufiner mon art, de repousser mes limites, d’essayer des approches différentes, bref, de ne pas écrire deux fois le même livre. Il en est allé de même avec Toute la couleur du monde. Je voulais explorer l’utilisation de l’écriture non fictionnelle – pas comme une toile de fond mais en tant que « personnage » à part entière – dans la narration d’une histoire fictive. Je voulais aussi me donner le défi d’écrire le récit à la deuxième personne, en faisant en sorte que le protagoniste se raconte l’histoire à lui-même (et du même coup, au lecteur) à travers ses propres opinions, souvenirs et observations.

A : Dans le premier fragment du livre, vous présentez le recueil Notes de chevet de Sei Shōnagon où s’entremêlent anecdotes, réflexions, citations favorites, poèmes, listes et affirmations. Cet ouvrage singulier semble avoir exercé une influence notable sur la forme de Toute la couleur du monde. Pourriez-vous m’en dire plus sur la forme du livre et sur l’influence de cette œuvre? Écrivez-vous dans plusieurs petits carnets, vous aussi? 

C S R: Outre le fait d’avoir été inspiré par le style de Shōnagon – sa clarté, son économie de mots, sa réserve –, je trouvais que le concept des notes de chevet (ou d’un carnet personnel) était une manière intéressante d’écrire l’histoire d’un personnage avec ses motivations, ses désirs, ses espoirs et ses craintes, ses triomphes et ses tragédies. Thématiquement parlant, c’était facile pour moi de transformer un carnet traditionnel japonais en un manuel académique adoré, bourré de notes, de coupures de presse, de souvenirs et d’opinions.

Compte tenu de la quantité de gribouillages, d’accumulation et de prise de notes auxquels je me livre quand je travaille sur un roman, je devrais tenir plusieurs « livres de chevet ». Mais d’habitude, je n’en ai qu’un (un Moleskine usé) qui, à la fin du projet, est tellement rempli de bouts de papier que l’épine est brisée, des pages en tombent et tout tient ensemble avec du ruban adhésif et des élastiques.

A : D’où vous vient cette fascination pour l’histoire de l’art, et comment avez-vous procédé pour la sélection des nombreuses œuvres d’art qui figurent dans le livre?

C S R :  Mon amour de l’art et de son histoire me vient de l’adolescence. « L’art » (le dessin, la peinture, etc.) était la seule matière dans laquelle j’excellais au secondaire. Cela m’a mené à m’intéresser à la façon dont les grands artistes ont créé leurs chefs-d’œuvre. Naturellement, j’ai étudié l’histoire de l’art à l’université, et c’est resté jusqu’à aujourd’hui une de mes passions.

La sélection des toiles qui apparaissent dans Toute la couleur du monde a commencé en choisissant celles que je connaissais le mieux (et sur lesquelles je voulais écrire), mais c’est rapidement devenu un exercice de recherche d’œuvres qui auraient pu inspirer Henry (le protagoniste) et raconter son histoire. En fin de compte, les trente-cinq œuvres mentionnées dans le roman sont les choix d’Henry. Les notes et remarques sur chacune n’appartiennent qu’à lui.

A : Pourquoi avoir choisi la période de la Deuxième Guerre mondiale comme trame historique du livre?

C S R : Tout en prenant des notes pour ce qui allait devenir le roman, je cherchais un thème ou un concept général. J’ai envisagé les possibilités narratives du péché et de la rédemption, pas le péché au sens biblique du terme, mais plutôt comme un acte involontaire, inconscient (bien que tragique). Comme le meurtre accidentel d’un enfant. Il n’y a pas de contexte plus approprié pour un tel péché que la guerre, où le meurtre est inévitable, et où un pécheur peut être un innocent soldat qui ne fait que tenter de survivre.

J’ai combiné ce concept avec ma volonté de situer le roman en partie en Italie, avec un protagoniste canadien. La Deuxième Guerre mondiale, particulièrement l’invasion de la Sicile par les Alliés (où les Canadiens figuraient en grand nombre), correspondait à tous mes critères.

© Audrée Wilhelmy (qui est également la photographe de la couverture du livre)

A : La façon dont vous intégrez la couleur est réalisée tout en finesse dans le livre. D’où vous vient cet intérêt pour les couleurs?

C S R : D’une vie au cœur du visuel. Lorsqu’on passe tout son temps à regarder, à étudier et à admirer le grand art; lorsqu’on consacre sa carrière aux arts graphiques (dans mon cas, comme concepteur de couvertures de livres), alors la couleur devient une part essentielle de notre univers. Je ne peux imaginer mon existence sans la capacité des couleurs sous toutes leurs formes à inspirer, à provoquer des émotions, à réveiller des souvenirs, à rendre le monde plus intéressant.

A : Où écrivez-vous?

C S R : J’ai un modeste espace (prétentieusement désigné comme mon « studio ») à côté de la cuisine. Si exigu soit-il, il offre cependant une très belle vue de mon petit jardin à l’arrière.

A : Un livre qui vous a marqué?

C S R : Il y en a trop pour les nommer tous, mais Toute la couleur du monde a été en partie inspiré par Une histoire du monde en 10 chapitres et ½, par Julian Barnes. Je l’ai lu il y a plus de trente ans et il résonne encore en moi. J’ai aussi relu Soie d’Alessandro Baricco à une fréquence embarrassante.

A : Avez-vous des projets d’écriture en cours?

C S R : Bien sûr. (Le processus de publication est lent : j’ai fini la version définitive de Toute la couleur du monde il y a trois ans.) Peu après, j’ai amorcé un nouveau projet. Mais je vous en prie, ne me demandez pas de détails; je suis un écrivain superstitieux, et révéler quoi que ce soit avant d’avoir terminé reviendrait à me jeter un sort à moi-même. Je me contenterai de dire que le travail avance bien.

A : Si vous aviez à organiser une exposition, quelles œuvres figureraient dans votre musée imaginaire?

C S R : J’ai récemment découvert un mouvement artistique japonais des années 1930 appelé « shin-hanga » ou « nouvelles gravures ». Le mouvement consiste en des xylographies produites pour un usage commercial (illustrations de livres, cartes postales, affiches souvenir, etc.) et met de l’avant des palettes, des styles et des modes d’expression occidentaux mélangés à des éléments plus sobres issus de la tradition japonaise. Une exposition d’œuvres de maîtres tels que Kawase Hasui et Ito Shinsui serait à couper le souffle.

C S Richardson

Toute la couleur du monde

« À la fois poésie, mosaïque et roman, ce livre où chaque mot est
à sa place est un triomphe, une véritable classe de maître sur la
manière de peindre un monde. »
Jury du prix Giller 2023

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