Dans le cadre d’une entrevue réalisée pour L’effet Pogonat le 15 mai 2025 qui est disponible sur Ohdio, Heather O’Neill a rempli un questionnaire sur son ADN musical. Voici ses réponses, à la fois pur bonbon et fenêtre sur son esprit unique. Bonne lecture!
Un souvenir d’enfance lié à la musique
1- J’ai vu le film KISS Meets the Phantom of the Park à la télé. J’étais terrifiée. J’avais peur que le groupe Kiss sorte par ma fenêtre pour me tuer. Je pensais qu’ils se cachaient sous mon lit, ou dans la garde-robe. Et ça m’a vraiment donné peur des musiciens rock. Pendant très longtemps.
2- 99 Red Balloons par Nena. La musique allemande était vraiment populaire un moment dans les années 1980. Et je me souviens que j’adorais ça. J’ai entendu cette chanson au parc, dehors. On attendait les feux d’artifice pour la Saint-Jean-Baptiste. Et c’était la plus belle chanson que j’avais jamais entendue.
Un souvenir d’adolescence lié à la musique
J’ai fait un road trip à New York avec mon chum pis des amis quand j’avais 17 ans. Quelqu’un a mis Pink Moon par Nick Drake. Je ne l’avais jamais entendue avant. C’était tellement beau. À ce moment-là, les gens redécouvraient cette chanson. Pour moi, ça marque la fin de l’enfance. La dernière fois où j’ai pu être totalement absorbée dans l’instant. La dernière fois où je me suis sentie immortelle.
Une chanson ou un album qui vous rappelle vos années au cégep ou à l’université
Check Your Head – Beastie Boys
À chaque party, y avait toujours un moment où quelqu’un mettait les Beastie Boys. Je ne sais pas pourquoi, mais les gars que je connaissais aimaient tous danser là-dessus. Ils pointaient leurs doigts comme des pistolets, ils faisaient semblant de se coiffer, ils se dandinaient dans la pièce. Ou bien ils faisaient semblant d’avoir une décharge électrique assis sur le divan. Alors pour moi, c’est associé à des gars cute.
Vos premiers concerts marquants en tant que spectatrice
1- Mes concerts préférés, encore aujourd’hui, c’est ceux que j’ai vus enfant au Square Saint-Louis. Une femme en robe rouge à pois, avec les cheveux noirs courts, debout à côté d’un gars avec un accordéon. Il commençait à jouer une chanson, pis elle se mettait à chanter. Mais souvent elle arrêtait pour se chicaner avec lui parce qu’il se trompait. Je priais pour qu’ils réussissent à finir une chanson sans se chicaner, parce qu’ils étaient tellement beaux. Mais ils se chicanaient toujours. Et c’était beau pareil. Parce que ça me rappelait quand j’écoutais la radio chez mon père, pendant qu’il criait tout le temps.
2- Je n’étais jamais allée à un vrai concert, c’était complètement interdit. Mon père disait que c’était la mort assurée. Que j’allais me faire piétiner. Quelqu’un était mort piétiné au Forum de Montréal. Il me répétait tout le temps qu’aller à un concert, c’était aussi dangereux que fumer du crack.
Mais je suis allée voir PJ Harvey à 21 ans parce que j’ai gagné des billets à la radio. J’étais presque déçue qu’il n’y ait pas plus de chaos. Tout le monde était assis, tranquille, pendant qu’elle courait sur scène.
Votre premier poster de chanteur·euse sur le mur de votre chambre
C’était une carte postale de David Bowie avec un grand danois.
Je l’ai demandée à ma mère à la pharmacie. J’étais impressionnée par le chien. Il était immense. Je n’avais jamais vu un grand danois en vrai. Ce n’est que des années plus tard, quand j’avais 12 ans, qu’une amie m’a dit : « C’est David Bowie. » Et là j’ai été déçue, parce que j’avais peur des chanteurs rock.
Le premier disque que vous vous êtes acheté (ou que vous avez reçu en cadeau)
The Muppet Movie (1979)
Kermit, c’était l’amour de ma vie. Un vrai modèle. Il avait son propre show pis c’était une marionnette. Il était organisé. Je me disais : c’est ce genre d’homme que je veux épouser quand je vais être grande. Je me souviens d’avoir économisé pour m’acheter mon premier imperméable pour ressembler à Kermit quand il faisait du journalisme.
Quand je suis allée voir le film au cinéma, c’était avant les effets spéciaux numériques. Quand Kermit est apparu à l’écran sur son vélo, tout le monde dans la salle a capoté.
J’ai demandé le disque pour ma fête, pis j’ai écouté les chansons pendant des heures. C’était comme une carte de morale pour moi. Il était un des premiers moralistes de ma vie. Ces chansons-là me faisaient juste du bien. Elles parlaient toutes du bonheur. C’étaient les idéaux des années 1970 sur l’enfance qu’on transmettait aux enfants.
Un·e artiste que vous aimeriez plus que tout voir (ou revoir) en concert
Cat Power. Quand ma fille était petite, je l’ai emmenée à un concert extérieur pour voir Cat Power. Je lui ai dit que Cat Power allait probablement faire une crise de nerfs sur scène. Et que c’était quelque chose, si t’étais chanceux, que tu pouvais voir en direct. Cat Power était connue pour ça. Et on pouvait voir à quel point les chanteurs et chanteuses peuvent être vulnérables. Elle a chanté plusieurs chansons super belles. Puis elle est tombée sur scène et elle a commencé à dire qu’elle était poche et qu’elle ne savait pas chanter. Ma fille était bouche bée.
Vos idoles musicales
Kurt Weill. Edith Piaf. Jean Leloup.
Bertolt Brecht est un de mes auteurs préférés. Son manifeste sur la création théâtrale – avec peu d’argent, des chanteurs pas très bons, les décors à vue – a vraiment influencé ma vision de l’art. Et Kurt Weill a composé de la musique pour des voix qui chantent faux. Et comme j’ai une voix affreuse, j’aimais beaucoup ses chansons. Je pouvais les chanter fausses, comme elles sont censées être chantées.
J’ai lu la biographie d’Édith Piaf quand j’étais jeune et j’ai été fascinée par son histoire. J’adorais qu’elle soit née sur un perron, qu’elle ait grandi dans une maison close et chanté dans la rue. J’aime que ses chansons donnent l’impression qu’elles viennent du trottoir. Sa voix me fait toujours penser à une enfant qui chante comme si sa vie en dépendait. Ses chansons m’ont donné espoir que la beauté et le talent peuvent venir de n’importe où.
Je voyais Jean Leloup partout quand j’étais ado et que j’avais emménagé dans le Mile End. Sa musique était complètement folle et géniale. Et il était là, en train de vivre sa vie d’artiste. Il portait un chapeau haut-de-forme et faisait des saluts à tout le monde. J’adorais qu’il y ait un personnage aussi excentrique, sorti tout droit d’une pièce d’Oscar Wilde, qui chantait des tounes sur des filles d’Ottawa qui lui avaient brisé le cœur.
Les trois albums que vous emporteriez sur une île déserte
The Muppet Movie (1979)
Peter and the Wolf – Serge Prokofiev, par Mia Farrow, André Previn et le London Symphony Orchestra et Benjamin Britten, par Young Person’s Guide
Bartók : For Children – Zoltán Kocsis
C’est des albums que j’écoutais quand j’étais petite dans l’appartement de mon père. Je me créais des mondes entiers en les écoutant. J’avais une vie intérieure hyper riche. Je les apporterais pour me sentir comme une enfant à nouveau. À une époque où j’avais si peu, mais où l’art me projetait vers l’avenir.
Vos voix préférées féminines ou masculines
Waxahatchee
Safia Nolin
Laura Marling
Adrianne Lenker
Le morceau qui vous donne le sourire à tous coups
My Doorbell – The White Stripes
J’ai un super bon souvenir avec cette chanson. The White Stripes est un de mes groupes préférés. J’aimais leur vibe enfantine, leur idée de faire semblant d’être frère et sœur, pis leur look rouge et blanc. J’ai entendu cette chanson pour la première fois quand je finissais mon premier livre. Et c’était exactement ce que j’attendais : que quelqu’un sonne à ma porte pour m’annoncer que tout allait bien aller. Que mon moment était arrivé. C’était positif, le fun, entraînant.
Une chanson qui vous donne des frissons (la chair de poule) à tous coups
Pa’lante – Hurray for the Riff Raff
J’adore la puissance de cette chanson. Et la manière dont elle répète « pa’lante » encore et encore. C’est rare que j’entende une chanson politique qui me touche autant sans être moralisatrice ou didactique.
Elle m’a vraiment inspirée la première fois que je l’ai entendue. Parfois, une chanson peut être comme un présage, t’annoncer que ta vie va changer. J’ai surmonté une dépression quelques jours après l’avoir écoutée. Et j’ai rencontré plein de nouvelles personnes.
Votre musique de film préférée
Juno (2007)
Probablement parce qu’il y a beaucoup de pièces des Moldy Peaches. J’aime leurs paroles : niaiseuses et sincères. Ils sont doux, chaotiques, désordonnés. Cette trame sonore me rappelle le début des années 2000, quand tout était twee et lo-fi. C’est comme un retour à une musique bricolée, loin du commercialisme de la musique américaine. C’est le genre de musique que tu fais avec un ami au secondaire.
La chanson (ou l’album) qui accompagne vos longs moments sur la route
Far from Any Road – The Handsome Family
J’adore écouter cette chanson quand je conduis sur une route de campagne sombre. Elle me donne l’impression que quelque chose de dangereux va arriver. C’est comme si j’étais dans un film d’horreur. J’adore les films d’horreur et l’idée que le surnaturel et le diable nous guettent dans l’ombre. J’attends que des vampires surgissent sur la route pour me confronter.
Je l’écoutais quand j’ai été prise dans une tempête en Louisiane et que le ciel s’illuminait de foudre. C’était magnifique.
Votre plus récent coup de cœur musical, votre dernière découverte
J’ai découvert Waxahatchee très tard, mais je suis tombée dedans. La chanson Right Back to It est devenue ma préférée ces derniers temps.
Votre chanson d’amour favorite
I Remember Everything – Zach Bryan
J’aime cette chanson d’amour parce qu’elle est vraiment sexy. Et un peu crue, mais sans l’être trop. J’aime que ce soit une chanson sur ces moments d’amour un peu saouls. Ce que je préfère, c’est être saoule avec quelqu’un que j’aime. Mes chums sont toujours un peu insultés – ils me demandent : « T’aimes pas ça être avec moi quand t’es sobre? » Et je leur réponds : « Ben non, pas autant. »
Ce que j’aime aussi, c’est que cette chanson me rappelle que je me souviens de tous les moments où j’ai été amoureuse. Et j’aime imaginer que mes ex sont encore réveillés la nuit, à se souvenir de tous ces beaux moments avec moi, et qu’ils pleurent.
Une chanson qui vous a accompagnée lors d’une rupture
Ain’t Got No, I Got Life – Nina Simone
Je vivais une rupture et j’étais incapable de tourner la page. J’avais le cœur brisé chaque jour. Chaque matin, je me réveillais encore en peine d’amour. Je suis allée voir des amis qui habitaient à Montauk en espérant que ça changerait mon humeur. Mais je suis restée assise sur la même chaise pendant trois jours sans bouger. J’étais complètement anéantie. Je ne sais même pas si je pourrais encore me sentir aussi mal aujourd’hui.
Je cherchais des chansons pour me remonter le moral. Mais aucune ne marchait. Et ça me frustrait. Je me disais : « Aidez-moi! La musique est censée servir à ça, non? »
Et puis dans le train de retour vers Manhattan, j’ai écouté cette chanson. Et elle m’a frappée. Elle était tellement joyeuse, une célébration de n’avoir rien. Elle chantait la joie d’être au fond du baril. Et tout à coup, les nuages au-dessus de ma tête se sont dissipés un instant. Je me suis dit : « Et puis quoi si personne ne m’aime? Il y a une sorte de liberté là-dedans, non? »
Votre toune ou votre album pour faire du sport, qui vous crinque
Solo Piano – Chilly Gonzales
J’étais obsédée par le ballet quand j’étais enfant. Je voulais tellement suivre des cours. Mais mon père disait que les profs de ballet à Montréal étaient tous des imposteurs et qu’ils n’enseignaient pas le vrai ballet.
Alors je m’entraînais toute seule, chaque soir, devant le miroir.
Plus tard, avec l’autrice Sheila Heti, on a décidé de s’envoyer des photos tous les jours à 14 h pendant qu’on s’entraînait, pour se motiver mutuellement. Et je lui envoyais des photos de moi qui faisais du ballet.
J’ai fini par appeler ma routine « Broken Ballet ». C’est un mélange de clown et de ballet.
Et Solo Piano est de loin mon album préféré pour danser. Il est parfait et m’inspire vraiment.
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