Le deuxième mari - Couverture - Éditions Alto

Très souvent, le roman naît d’une voix singulière, celle d’un personnage qui insiste pour me raconter son histoire. Voici les premiers mots que Samuel, un matin, m’a glissés au creux de l’oreille et qui m’ont amené à écrire Le deuxième mari.

SAMUEL :

J’ai une bonne voix,
un peu rauque
mais bien timbrée.
À treize ans,
quand j’ai commencé à muer,
ma mère a été soulagée :
son fils possédait la voix parfaite
pour enchanter sa future épouse.
C’était sa façon de parler.
Pour elle, le plaisir que l’homme donne à une femme
se trouve annoncé dans la caresse ferme de sa voix.
Mais maîtriser sa voix,
quand la nature vous l’a offerte
avec une dose de brutalité,
est un art difficile.
J’ai dû apprendre à ne pas trop l’élever,
à mettre du miel dans mes phrases
pour ne pas contrarier la femme que j’ai épousée,
si preste à me réprimander.
Un rien l’irrite et elle a la main impatiente.
Je dois me surveiller et veiller à courber l’échine
dans les rares moments où j’oublie ma place dans ce monde.
Je ne suis pas parfait, je commets des erreurs,
j’accumule les bévues, les petites fautes de goût.
Elle a l’oeil pour les remarquer et me le faire savoir.
C’est une personne droite, ma femme.
Elle a des principes inaltérables
où elle puise sa force et sa brutalité.
Autrement, je serais perdu.
J’aurais des pensées inappropriées.
Je dois, oui, je dois surveiller
ce que ma tête d’homme produit.
Là-dedans, cela pense contre moi
et parfois contre ma femme.
Je dois être sur mes gardes
et fermer ma tête et le cerveau qu’elle abrite.
Pas facile de dresser ce cerveau d'homme.
Il ne faut pas, ne faut pas
que le sang afflue dans mon sexe.
Le regard des femmes a le pouvoir
de faire sauter les digues.
Ma femme est la seule autorisée
à ouvrir le barrage de mon sang.

Je me promène dans le dédale des rues,
parmi les traces des autres femmes,
comme un courant d’air invisible.
Je laisse derrière moi le froissement de l’absence
à l’intérieur de ma robe d’obscurité.
Je produis du sang, de la sueur, du sperme,
des odeurs épicées, étouffantes,
des pensées qui ont macéré
dans l’alcool noir du désir.
Je marche dans le bruit de la ville
avec un sac de silence
fait de hurlements écrasés.
Je marche avec l’affolement
d’un oiseau dans les poumons
suffoquant, cherchant son air.
Je marche en me liquéfiant
et quand je rentre dans ma demeure,
je doute qu’il y ait quelqu’un derrière ma peau.
Il n’y a que dans les os de ma face
que j’ai le sentiment d’être seul.
Mais quel plaisir y a-t-il
à être seul dans les os de sa face
quand elle est voilée à la face du monde ?

On dit que j’ai la force d’un taureau.
Je m’exerce en conséquence,
mais aucun entraînement, aucune discipline
n’arrivent à muscler mon âme.
Toute ma force est au service de mon épouse
et jamais je ne pourrais l’utiliser pour moi-même.
Je n’arrive pas à saisir
le mécanisme qui pourrait inverser
cet étrange jeu de forces.
Et personne dans cette île
n’a envie de changer quoi que ce soit
à cette aberrante situation.

Jeune, j’avais hâte de me marier,
hâte qu’une femme me choisisse.
Je mangeais et buvais pour donner à mon corps
plus de cellules, plus de tonus, plus de virilité.
Je guettais sur mon visage, avec impatience et nervosité,
l’apparition des têtes noires de ma barbe naissante,
signe que je serais bientôt en âge de me marier.

Être né pour offrir son corps à une inconnue.
Attendre le jour où cette inconnue
vous emmène dans sa maison,
tournant autour de vous en cherchant je ne sais quoi,
examinant votre torse, votre dos, votre nuque,
vous ordonnant d’écarter les
de vous pencher, de vous relever, d’ouvrir la bouche,
s’approchant si près de vous
que vous vous mettez à trembler
comme si un froid glacial envahissait la pièce.

Vous n’oublierez pas la sensation de déchirure
que ces longs ongles provoquent sur votre chair.

Elle se dévêt devant vous,
enlève ses bijoux sonores,
ne ressent aucune gêne à dévoiler
le territoire de sa féminité,
en retire plutôt une dure fierté.

Vous savez que votre devoir sera de choyer ce corps,
de le rendre joyeux jusqu’aux endroits les plus obscurs
que sa propriétaire vous indiquera avec une aisance stupéfiante.

Larry TREMBLAY

Le deuxième mari

«Ça fonctionne tellement! C'est hallucinant ce que ça propose comme émotion, comme indignation. [...] Ce roman est à lire absolument! On n'en sort pas indemne.»

Marie-Louise Arsenault , Plus on est de fous, plus on lit!

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