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Martine Desjardins

Le temps des sucres - Martine Desjardins

Fiche de lecture

Chaque printemps, le temps des sucres exige le tribut d’une victime sur l’autel de son culte. Il s’agit parfois d’un cerf, étranglé dans les tubulures qui courent entre les troncs, parfois d’un arbre, parfois d’un homme.

À Saint-Calixa, dans une forêt maudite abandonnée par les moines trappistes il y a près de deux siècles, la famille Lacerte récolte la sève d’érables centenaires pour en extraire un sirop aux propriétés singulières. Lorsque Guillaume, le dernier de la lignée, revient au village après trente ans d’absence, il est entraîné dans un monde rustique dont les rituels archaïques mettent sa virilité à l’épreuve et le rapprochent dangereusement des terribles secrets ancestraux.

Avec Le temps des sucres, Martine Desjardins s’amuse à mêler les codes du folk horror aux dogmes masculinistes, et assène un grand coup de hache à une tradition séculaire figée dans la tire.

Faits saillants

  1. Roman de folk horror (horreur/fantastique ancré dans le terroir).

  2. Inspiré du monde de l'acériculture.

  3. Réflexions sur la masculinité traditionnelle/toxique.

  4. Récit moderne entrecoupé de la correspondance d'un moine du 19e siècle.

Informations pédagogiques

Époques

Présent et milieu du 19e siècle.

Lieux

Village fictif de Saint-Calixa, situé quelque part en Beauce; Montréal.

Thèmes

Masculinité, filiation, héritage, acériculture, domination de la nature, religion, traditions, arbres, féminin sacré.

Style et construction du récit

Le récit suit principalement le point de vue du héros, Guillaume, pour s’en détacher lors d’intermèdes qui explorent le passé de l’érablière familiale, la biologie des forêts, et la correspondance d’un moine trappiste. Ce dernier relate des événements étranges survenus au 19e siècle sur le site de l’érablière. Le style est riche et fluide, marqué par un vocabulaire précis et un subtil humour noir, et prend des accents plus vieillots dans la correspondance du moine. L’horreur est présente sans être excessive.

Pistes de réflexion

  1. Martine Desjardins s’empare souvent d’objets ou de substances autour desquels elle construit un culte auquel se vouent ses personnages (le sel dans L’évocation, l’argent dans La chambre verte, et le sirop d’érable dans Le temps des sucres). Proposer un exercice de création où les étudiant·e·s sont appelé·e·s à imaginer un culte autour d’un
    élément banal.

  2. Dans Le temps des sucres, l’autrice a prêté à ses personnages des valeurs et attitudes associées au masculinisme. Proposer un débat autour des codes et injonctions du masculinisme et de leurs conséquences pour les femmes et pour les hommes.

  3. Les personnages du roman ont des liens avec la figure du féminin sacré et les déesses de la fertilité. Explorer en classe ces croyances anciennes et examiner leur résonance dans notre présent.

En complément

Lectures

Highlands, roman de Fanie Demeule

La loterie, nouvelle de Shirley Jackson

Maléficium, roman de Martine Desjardins

Vers d'autres arts

The Sticky, série de Brian Donovan et Ed Herro

Midsommar, film de Ari Aster

Extraits

  1. Pages 27-28

    Après le départ des ouvriers, la trappe se trouva livrée à elle-même, assiégée par des arbres qui essayaient par tous les moyens de reconquérir le territoire sur lequel nous avions empiété. Réfractaire aux espèces étrangères, la forêt était composée exclusivement d’érables, et cette uniformité d’écorces évoquait une armée sur le qui-vive, dressant contre nous des chicots de branches mortes, plus pointus que des lances. Même par temps plat, sans que la moindre brise vînt interrompre l’immobilité de l’air, les cimes hérissées se déchaînaient avec des mugissements de tourmente, et la friction des feuilles faisait le bruit des lames qu’on aiguise.

    La vie d’une trappe est enchaînée au cycle des saisons autant qu’à celui des oraisons. Entre l’inéluctable obligation des tâches quotidiennes et l’épuisement qui s’ensuivait, il restait peu de temps pour la réflexion. Les moments de prière auraient été un repos bienvenu, sauf que les perturbations extérieures étaient encore plus fortes durant les offices : les érables ployaient alors leurs troncs jusqu’au point de rupture pour venir cogner contre les vitres et couvrir la montée de nos chants.

    À l’automne, les bois se transformèrent en un véritable enfer rouge dont le soleil déclinant attisait les flammes. Les samares ouvrirent le feu en premier, pointues comme des cornes de bouc, puis les feuilles par milliers s’abattirent sur la trappe en l’espace d’une nuit et nous fûmes ensevelis sous une couverture impie qu’il fallut incendier sur de grands bûchers. Dom Oger donna l’ordre d’élargir le périmètre afin de tenir les arbres à distance et, pendant qu’on s’activait à la hache, un érable auquel on n’avait même pas touché s’écrasa sur la scierie, tuant sur le coup un de nos frères.

    Il était clair que cette forêt sauvage n’entendait pas être évangélisée.

  2. Pages 119-120

    — C’est la nouvelle cuvée. Tu es le premier à y goûter.

    Il a l’impression d’avaler le printemps. Pendant que la sève nouvelle monte en lui, son corps s’éveille après une trop longue hibernation ; son tronc se redresse, ses poumons dilatent leurs bronchioles, ses sens s’enflamment telles des brindilles, sa tête bourgeonne de nouveaux projets. Il réalise qu’il ne tient plus à son logement ni à son travail. Il ne songe plus à sa quête, et encore moins à son espoir de conquête amoureuse. Il a franchi une frontière et ne pourra jamais revenir en arrière.

    À bien y penser, il passerait ses journées à toutes ces activités masculines qui lui ont manqué : bûcher, bêcher, planter des clous, réparer un moteur, laver un char, nettoyer un puisard... Il commence à comprendre les attraits de la campagne. S’il s’installait à Saint-Calixa, il ne mangerait que la viande de ses chasses, cuite sur un feu de camp ; il brasserait lui-même sa bière ; il s’achèterait un tour à bois, un camion et un fusil à pression ; il se lèverait à l’heure des poules et dormirait au son des ouaouarons... Il pourrait même devenir acériculteur. Ce ne semble pas si difficile, après tout...

    Il rend la flasque à Virgil, qui boit aussi une gorgée avant de lui faire remarquer combien la couronne du Vénérable a été décimée ces dernières années par le verglas et les vents violents.

    — C’est notre érable généalogique, tu sais. Sa vie a toujours été liée au sort des Lacerte. Il pourra pas survivre si notre famille s’éteint, alors il serait grand temps que tu commences à répandre ta semence pour assurer la descendance.

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