«Vivre dans les montagnes m’a permis d’apprendre à aimer la nature, tout autant qu’à la craindre.»

Lori Lansens partage ici son amour et sa crainte de la nature, ainsi que la genèse de son roman Les égarés, qui entraîne le lecteur dans une randonnée en montagne ne laissant personne indemne.

Vous avez exploré certaines régions sauvages de la Californie. Avez-vous toujours aimé le plein air?

Mon mari et moi avons quitté le centre-ville de Toronto pour nous établir en Californie avec nos deux jeunes enfants, il y a une dizaine d’années. Nous avons construit notre maison dans un canyon, au coeur des monts Santa Monica, où nous partageons notre cour arrière avec des lions de montagne, des lynx, des coyotes et des serpents à sonnette. Nous habitons une région sauvage.

Il y a quelques années, un lion de montagne a tué un cerf dans notre cour arrière. Une patte arrière, une patte avant, des touffes de fourrure et des morceaux de tissu avaient été éparpillés sur la pelouse. J’ai entendu le combat au beau milieu de la nuit et, lorsque j’ai regardé par la fenêtre, je pouvais distinguer leurs silhouettes dans la noirceur. Quelques voisins ont dit avoir eux aussi vu le lion cette semaine-là et se demandaient si c’était la même femelle qui avait mis bas dans un ranch environnant. Des choses improbables arrivent parfois dans la nature.Un lynx vient souvent visiter notre terrain également. Mes enfants pensent que l’animal a l’air cool et « ancestral ». Et c’est vrai. Mais nous devons quand même l’effrayer lorsqu’il se prélasse sur un rocher à l’ombre des eucalyptus. Les coyotes des alentours affichent un air de défi, quand ils ne sont pas carrément agres-sifs. Plus d’une fois, et ce en plein jour, ils sont venus jusqu’à la porte-fenêtre et ont scruté l’intérieur de la maison.

Mon environnement fait en sorte que je suis constamment dans un état d’hyperconscience, mais aussi de reconnaissance. Vivre dans les montagnes m’a permis d’apprendre à aimer la nature, tout autant qu’à la craindre.

Avez-vous entrepris l’écriture des Égarés après votre première visite au mont San Jacinto ou est-ce que les personnages vous sont venus d’abord?

Les personnages sont venus en premier.

Peu de temps après que nous avons déménagé dans le canyon, deux élèves de l’école secondaire locale se sont suicidés. L’un d’eux habitait notre communauté. Je ne connaissais que ce dernier, et pas très bien, mais leur mort m’a préoccupée et plongée dans des souvenirs sombres et tragiques. Ces adolescents me revenaient toujours en tête; je ressentais de la peine pour eux, mais aussi de la peur pour mes propres enfants et ceux de mes amis. Le personnage de Wolf vient de là, tout comme Frankie, le père amoché, ainsi que le thème de la survivance.

Le trio Devine est sorti de derrière le rideau depuis un moment. Elles sont inspirées de ma vie, de mon passé, mais surtout de mon présent, de femmes qui ont piqué ma curiosité. Je voulais explorer leur dynamique familiale dans la montagne.

J’avais une idée des relations entre les personnages, et la fin, telle qu’elle est maintenant, était déjà décidée, mais je n’avais pas encore le bon cadre, celui qui allait déterminer les agissements des personnages et leurs intentions. J’ai laissé cette histoire de survie mijoter.

Vous aviez les personnages et vous êtes allée à la recherche de la montagne?

Je travaillais encore sur mon livre précédent au moment où mon mari et moi sommes allés à Palm Springs pour la première fois. Lorsque j’ai mentionné à une autre mère que mes enfants s’ennuyaient de la neige, elle m’a parlé du mont San Jacinto à Palm Springs et du fait qu’elle aimait bien y amener ses enfants pour leur faire découvrir l’hiver. Quand j’ai vu les images de cette montagne sur l’écran de mon ordinateur, j’étais tout excitée; je devais la voir. Mon mari s’inquiétait de mes vertiges et de mon mal des transports. Entre le trafic et le téléférique, je n’étais pas convaincue non plus...

Nous n’avons pas amené les enfants la première fois et n’avons pas eu assez de temps pour voir la neige. J’ai pris une double dose de médicament contre le mal des transports avant de monter dans le téléférique qui allait nous conduire jusqu’à la station de la Montagne, située à 2440 mètres. Peut-être est-ce dû à l’altitude ou au médicament, mais lorsque j’ai regardé le paysage, j’ai ressenti quelque chose de mystique. Le parfum des pins, les strates de roches et les kilomètres de nature sauvage… C’était comme si je revenais à la maison.

Mon mari et moi avons entrepris une courte randonnée, en suivant ce qui ressemblait à un sentier, mais qui n’en était pas un. Après un certain temps, nous avons réalisé notre erreur et avons rebroussé chemin, du moins c’est ce que nous croyions. Nous avons grimpé quelques roches afin de prendre une photo et, juste comme ça, nous étions perdus. Nous nous sommes disputés à savoir si nous devions crier à l’aide – il ne voulait pas – ou simplement attendre de voir ou d’entendre d’autres randonneurs à travers les arbres. Nous n’avons pas été perdus très longtemps, mais aucun de nous n’a bien réagi sous la pression. Éventuellement, nous avons entendu des marcheurs au loin et avons trouvé un sentier. Nous sommes restés silencieux sur le chemin du retour à l’hôtel. J’écrivais déjà Les égarés dans ma tête.

Quel type de recherches avez-vous menées pour bien rendre par écrit les réalités liées au fait d’être perdu en montagne?

J’ai lu des histoires de survie et tout ce que j’ai pu sur le mont San Jacinto, en plus de lire sur les Cahuillas, peuple amérindien ayant vécu dans les canyons et au pied des montagnes. J’ai aussi consulté des blogues et des sites Web de randonneurs et d’ornithologues, ainsi que des archives de sauvetage.

Cependant, ma recherche la plus fructueuse s’est déroulée quand je passais du temps dans la montagne, que je l’expérimentais. J’y suis parfois allée seule, mais je ne m’éloignais jamais de la station. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de faire des randonnées avec Matt Jordon, membre de l’unité de sauvetage de la montagne. Il m’a amenée beaucoup plus loin que là où j’aurais pu aller seule. J’ai pu lui poser des questions et vérifier auprès de lui que certains éléments de mon histoire étaient crédibles. Il a été très patient et d’une aide précieuse; il m’a gardée sur le droit chemin au figuré également.

Le roman explore les relations compliquées entre père et fils et mère et fille. L’avez-vous toujours conçu comme tel?

Les personnages sont venus en lot. Dans le cas des Devine, je voulais explorer les relations familiales dépouillées de toute intention, sauf la survie. Je voulais jeter un regard élémentaire sur la maternité.

Pour Wolf, c’est l’accumulation des dommages causés par des années de négligence paternelle qui lui pèse, mais qui en même temps l’a rendu plus fort et compatissant. La relation étroite et harmonieuse que Wolf entretient avec son fils Danny est d’une certaine manière le fait de son absence de relation avec son propre père.

Pourquoi avez-vous choisi de présenter l’histoire comme une lettre à Danny? Pourquoi Wolf choisit-il de révéler maintenant à son fils ce qui s’est passé dans la montagne?

L’histoire est une confession. Wolf ne pourrait jamais avouer tout ça à son fils en personne parce qu’il ne pourrait pas être sûr qu’il dira toute la vérité. C’est une histoire complexe où il est essentiel de bien comprendre le passé. Wolf a besoin de l’écrire pour en dégager tout le sens. Une lettre est une chose privée et l’aveu de Wolf n’est pas destiné au public.

Danny est maintenant à l’université et pour la première fois, il doit être autonome. Il y a une distance physique entre le père et le fils. Voir Danny voler de ses propres ailes contribue à la décision de Wolf de lui raconter son secret. Il offre à son fils un récit sur les risques et les limites.

Tous vos personnages ont des secrets qui, pour la plupart, sont révélés dans la montagne. Pourquoi pensez-vous que les gens disent la vérité quand leur vie est en péril?

Peut-être que cela vient d’un désir profond d’être compris et accepté, avec nos fautes, même dans nos derniers moments.

Lori LANSENS

Les égarés

« Tour de force qui figurera assurément parmi les romans les plus marquants de l’année, Les égarés offre un équilibre parfait entre suspense et drame social, entre secrets de famille et lutte pour la survie. »

The Globe and Mail

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