Tintin: Et maintenant, ouvrons l'œil…
Milou: Et même les deux!

La surveillance et la filature de suspects, les fiches signalétiques des repris de justice et la compilation de dossiers criminels, l’utilisation de couvertures pour infiltrer les gangs de hors-la-loi... Ces méthodes fondamentales d’investigation, popularisées par le roman noir et les séries policières, remontent à la conquête du Far West. Elles ont été développées dès 1850 par Allan Pinkerton, précurseur dans le domaine des enquêtes judiciaires et fondateur de la légendaire agence nationale de détectives Pinkerton.

À l’époque où il n’y avait encore aucune police régionale à l’ouest du Mississippi pour assurer la sécurité dans les trains, les diligences, les banques et les bureaux de poste, les 10 000 agents, nommés simplement «Pinkertons», faisaient trembler les bandits de grand chemin, les meurtriers et même les desperados les plus endurcis. Supérieurs en nombre aux effectifs de l’armée américaine, ils formaient une milice si formidable qu’il leur était interdit de mettre les pieds en Ohio, où le gouvernement de l’État craignait qu’ils ne renversent le pouvoir.

Allan Pinkerton avait lui-même conçu l’emblème de son agence, un oeil grand ouvert accompagné de la devise : «Nous ne dormons jamais.» Par cet orbe insomniaque, acéré et perçant, il voulait évoquer à la fois l’oeil de Dieu qui voit tout et l’oeil de la Providence surmontant la pyramide qui figure sur le grand sceau des États-Unis ainsi qu’au verso du dollar américain. Une façon de semer la terreur chez les malfaiteurs, tout en contribuant à créer sa propre légende – qui sera véhiculée dans d’innombrables westerns.

Car Allan Pinkerton fut aussi un maître de l’autopromotion. Il est l’auteur fort populaire de dix-huit livres, dont un récit autobiographique et plusieurs romans d’aventures glorifiant les exploits de ses agents.

Immigrant écossais entré illégalement aux États-Unis par le Canada, Allan Pinkerton s’installe en Illinois, où il pratique le métier de tonnelier. Il devient représentant de la loi le jour où il tombe par hasard sur le repaire d’une bande de faux-monnayeurs et qu’il aide le shérif local à les appréhender.

À Baltimore, Allan Pinkerton déjoue une tentative d’assassinat contre le président Lincoln. Cet acte d’éclat lui vaut d’être nommé chef des services de renseignements des forces de l’Union quand la guerre civile est déclarée.

À l’agence, Allan Pinkerton est secondé par une jeune détective de vingt-huit ans, Kate Warne, qui instaure une division féminine, les «Pinks». Ensemble, ils établissent un réseau d’informateurs pour espionner l’armée confédérée. « Les femmes ont l’oeil pour les détails et sont d’excellentes observatrices », dit-il pour expliquer la confiance absolue qu’il a en ses agentes.

Après la guerre, Allan Pinkerton concentre ses efforts sur les hors-la-loi notoires : les membres du Reno Gang, le Missouri Kid, Butch Cassidy, et surtout Jesse James, qu’il pourchasse sans relâche et à ses frais, sans jamais réussir à le coincer – une défaite qui lui restera toujours sur le coeur.

D’autant plus qu’un accident vasculaire cérébral le laisse partiellement paralysé, et qu’il doit laisser l’agence entre les mains de ses deux fils. Robert est un homme d’affaires sérieux, spécialiste des patrouilles, alors que William (le héros du roman de Steven Price, L’homme aux deux ombres) est un détective de terrain, très porté sur la bouteille et qui cultive des relations avec les milieux interlopes.

Après la mort d’Allan, en 1884, l’agence devient le bras de fer des magnats industriels contre les mouvements syndicaux et n’a aucun scrupule à engager des briseurs de grève et des agents provocateurs pour intimider les ouvriers. Mais elle peut aussi s’enorgueillir d’avoir arrêté H. H. Holmes, considéré comme le premier meurtrier en série de l’histoire, et d’avoir compté parmi ses agents le jeune Dashiell Hammett, qui révolutionnera bientôt la littérature policière avec ses romans noirs inspirés de son expérience de détective au Montana.

L’agence Pinkerton est restée entre les mains de la famille jusqu’en 1967. Elle est aujourd’hui une filiale de la multinationale Securitas, mais elle a gardé l’emblème qui a fait sa réputation: l’oeil insomniaque auquel rien n’échappe.

Steven PRICE

L'homme aux deux ombres

«Tandis que l’on tente de deviner le prochain rebondissement que réserve le romancier, on est saisi par la richesse des sombres tableaux que n’aurait pas reniés Arthur Conan Doyle. Tandis que sa description de l’Amérique renvoie à Mark Twain, c’est l’esprit de Charles Dickens qui flotte discrètement dans les ruelles londoniennes.»

Manon Dumais , Le Devoir

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