KATIE JEPSON. La meilleure voyante à propos des questions d’amour, de santé, d’affaires juridiques, d’amis perdus de vue, de mariage, de divorce, de testaments contestés, de contrats, de droits de propriété, d’objets égarés, d’associés, de voyages et d’affaires commerciales. Mademoiselle Katie défie les lois du monde : elle donne des noms, fait des prédictions du berceau à la tombe. Ladies 25 ¢. Gentlemen 50 ¢. Lecture à partir d’un cheveu 1 $. À l’étage du No 251, Christopher Street. (p.162)

***

MARTEAU VERSUS SAC DE SABLE

Maud Merrill n’était pas la première jeune new-yorkaise à quitter le salon de Katie Slape dans un sac en toile. Avant elle, trois autres femmes avaient déjà péri, victimes de son marteau. Toutes avaient été jetées dans le fleuve par John tandis que Hannah faisait le guet. Ces quatre meurtres avaient enrichi les Slape de près de six cents dollars, soit bien plus que ce que leur auraient rapporté des intérêts – même avec un capital aussi important que vingt-neuf mille dollars – et immensément plus que ce qui aurait pu être accumulé grâce aux cinquante cents ou un dollar par séance à la table de voyance de Katie.

Les femmes qui venaient la voir ne mettaient pas systématiquement leur vie en danger : cela ne concernait que celles qui avaient de l’argent sur elles et, parmi ce petit groupe, uniquement celles qui n’avaient pas beaucoup de relations dans la ville. Bien sûr, se renseigner sur ces deux points auprès d’une victime potentielle pouvait éveiller les soupçons, mais Katie ne s’embêtait pas à le faire. Elle savait déjà si ces dames avaient de l’argent ou non. Sa capacité à décider qui devait mourir et qui devait vivre était aussi infaillible que mystérieuse. Quand une jeune femme comme Maud Merrill tombait sous les coups de marteau, ses poches étaient fouillées avec la parfaite assurance d’y trouver une somme substantielle.

Hannah et John ne posaient jamais de questions à leur fille quant à cette efficacité lucrative.

Cependant, ayant repéré par hasard l’article relatant la découverte du corps de Maud Merrill, Hannah se demanda tout haut, devant Katie, si l’utilisation du marteau n’était pas un aspect de son rituel qui pouvait être amélioré.

« Ça laisse une trace », précisa Hannah, qui lut à sa belle-fille la partie qui décrivait les bleus sur le crâne de Maud.

Celle-ci haussa les épaules : « Qu’est-ce que ça peut leur faire ? Elles sont mortes.

— Non, lui expliqua patiemment Hannah. Y aurait pas les bleus, la police aurait pensé qu’elle s’était noyée, c’est sûr. Mais avec les bleus… un jour, continua-t-elle sombrement, quelqu’un pourrait nous attraper. »

Katie sourit d’une manière qui signifiait : Qu’ils essaient.

Hannah était la seule à ne pas être à l’aise avec l’utilisation du marteau, mais ce fut John qui trouva une solution. Il continuait à passer ses après-midi chez le barbier du coin et y avait recueilli diverses informations, dont une qui pouvait bien s’avérer utile : l’existence d’une arme qui ne laissait aucune trace.

« Un sac de sable, dit-il. Tu prends des petits sacs en toile et tu les remplis de sable et de gravier jusqu’à ce qu’ils fassent deux kilos bien tassés. Après, tu peux les cogner sur le crâne de qui tu veux, ça te les couche pendant trois jours. »

Hannah secoua la tête, dubitative.

« Du sable ! s’exclama-t-elle. On peut pas tuer un homme avec du sable !

— Katie a affaire à des dames, précisa-t-il.

— C’est pareil. On peut pas tuer une dame avec du sable dans un sac.

— Ça leur remue le cerveau. Peut-être qu’il faut donner trois ou quatre coups, à différents endroits, mais ça laisse pas de trace.

— Non », intervint Katie, qui avait suivi la conversation avec intérêt. Ce non n’exprimait pas le doute quant à l’efficacité de la méthode, seulement le refus d’abandonner son marteau. Elle aimait beaucoup son marteau.

*

Ils tentèrent néanmoins l’expérience. John remplit plusieurs sacs en toile qu’il avait trouvés sur un terrain vague de la 20e Rue, et Hannah les cousit pour les refermer. Deux d’entre eux furent placés dans le tiroir où était rangé le marteau dans le petit salon, et quand la cliente suivante se présenta à Christopher Street, avec un peu d’argent et pas vraiment d’amis, Katie la stupéfia par son savoir divinatoire, puis, quand la future victime alla regarder à la fenêtre (la voyante lui avait dit que son véritable amour se tenait devant une boutique quelques mètres plus bas dans la rue), Katie s’empara de l’un des sacs et la frappa à la tête. La jeune femme s’évanouit mais elle respirait encore. Pendant plusieurs minutes, son bourreau lui donna des coups sur la tête et les épaules avec le sac, et ne s’arrêta que lorsque l’une des boucles d’oreilles de la victime déchira la toile, laissant s’écouler du sable dans la cavité défoncée de son oreille.

Katie se releva et appela ses parents.

« Il y a des bleus sur son visage », dit-elle avec satisfaction. Elle voulait continuer à se servir de son marteau.

« T’es pas censée la frapper au visage ! s’écria John. Juste sur le crâne !

— Il a fallu que je la cogne dix-huit fois, poursuivit-elle d’un ton renfrogné.

— Elle était morte avant », répliqua sévèrement Hannah.

Sa belle-fille ne répondit pas.

« Maintenant, fouille ses poches. »

Katie s’exécuta et finit par en retirer trente-six dollars et quelques pièces en argent.

Hannah et John firent la grimace.

« C’est pas beaucoup, remarqua-t-il. T’es sûre qu’elle en cache pas plus ?

— Y a rien de plus. Je voulais juste montrer que les sacs de sable, ça marchait pas. » (p.263-267)


Image de couverture : Pedro Oyarbide et Monsieur Toussaint Louverture

Couverture du livre Katie de Michael McDowell, publié chez Alto

Michael McDowell

Katie

«Un récit horrifique débridé écrit avec habileté, malice et ironie.»
Le Nouvel Obs

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