Dans Pacific Bell, il y a une voix qui résonne au milieu du désert, un amour qui rend fou, un enfant à qui on léguera tout, un père au destin mafieux, une soif dévorante, une cabine téléphonique qui pourrait passer pour un mirage. Ne raccrochez pas… laissez-moi encore vous parler du sang des cactus qui coule toujours sur la paume des nopals, d’un rêve inatteignable, mais dont on ne peut se détacher. À l’impossible, je préfère de loin la folie. S’il y a des rouges qui s’effacent à la lumière, Sofia Loera, héroïne de Pacific Bell, n’est pas faite de l’un de ceux-là.

Pacific Bell est un roman – ou un conte – qui plonge le lecteur dans une fresque symbolique. Les images s’y superposent en couches de couleurs : un amour des arts, une fascination pour le mythe de Narcisse et la version danoise de 1837 du conte La petite sirène. Dès les premières pages, le lecteur entre dans un étrange huis clos : la petite communauté de Cima, en plein désert des Mojaves. Occupant une poignée de maisons, elle vit entourée d’une mine de cendre volcanique abandonnée, d’un bar miteux et d’une station de radio. À soixante kilomètres du village, plantée dans un océan de sable, loin de toute route pavée, une cabine de téléphone fait retentir sa sonnerie nuit et jour. Cette cabine de la compagnie Pacific Bell, installée dans les années 1950 pour les besoins des employés de la mine, attire des touristes et des curieux de partout dans le monde depuis qu’elle est épiée par l’animatrice de la Cima Radio, Sofia Loera.

Dans les Mojaves, l’émission radiophonique Voix du désert résonne sur les ondes hertziennes. Les auditeurs et le fils de Sofia écoutent l’histoire d’amour et de haine que l’animatrice leur narre fragment par fragment. Elle y relate la vie d’Eco, une saigneuse de cactus, et celle d’Angel, un fils de mafieux. Ils ont grandi ensemble au Mexique, dans le même village, et ont passé leurs étés au ranch de la mère d’Eco, La Nopalera, dont ils rêvent de prendre, un jour, les rênes. Sur ce ranch, on cultive un pigment rouge d’une grande valeur produit à partir d’un insecte ; on appelle ce pigment, dans la région de Oaxaca, le sang des cactus.

Depuis longtemps, j’ai cette idée d’écrire un roman comme s’il s’agissait d’un tableau, par aplats de couleurs, en épaisseur plus qu’en longueur. Cette histoire est inspirée d’un stage que j’ai fait à Santa María Coyotepec, dans l’État de Oaxaca, au Mexique, en 1999. J’y ai appris le métier de saigneuse de cactus et découvert la fascinante civilisation zapotèque. La formation eut lieu au ranch La Nopalera, où l’on nous a initiées à la culture des nopals ainsi qu’à l’élevage de la cochenille ; le but de notre stage était de nous apprendre à fabriquer un pigment naturel d’un rouge carmin presque inaltérable, soit le même que celui utilisé par Rembrandt pour la robe écarlate de La fiancée juive dont la couleur, après trois siècles, est demeurée d’une grande profondeur et d’une rare intensité. Le même pigment, aussi, que celui utilisé par Turner pour ses couchers de soleil rougeoyants. Les deux peintres ont fabriqué eux-mêmes leur couleur en broyant des cochenilles. Ils l’ont coupée avec des gouttes de tartre jusqu’à l’humidifier suffisamment pour faire ressortir de l’insecte une coloration et ont râpé finement quelques grammes d’alun qu’ils ont filtrés pour finalement fixer la couleur dans la laque ou dans l’huile.

J’aime l’idée de pouvoir devenir quelqu’un d’autre grâce à l’écriture de mes romans, d’entrer dans la fiction, d’en faire l’expérience. Avec Pacific Bell, c’est tout l’univers entourant ce pigment rouge fascinant qui m’a interpellée. Qui étaient ces saigneuses de cactus de Santa María? Je voulais mettre en contraste deux symboles : la main rouge des saigneuses de cactus et la main noire de la mafia mexicaine. Je cherchais un angle particulier pour mettre en scène la révolte de Oaxaca, un mouvement de protestation mené à l’origine par des professeurs de Oaxaca de Juárez, la capitale de l’État. La combativité des femmes s’est illustrée avec force au sein de ce mouvement d’insurrection populaire et je n’ai pas pu m’empêcher de lier ses saigneuses de cactus à la puissance notoire des femmes zapotèques de la région de Oaxaca. C’est également le combat que mène la famille matriarcale dans laquelle a grandi le personnage principal de Pacific Bell.

Julie HÉTU

Pacific Bell

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