C’est Soudain le Minotaure qui a révélé au monde l’immense talent de conteuse de Marie Hélène Poitras, il y a un peu plus de vingt ans. Et depuis, l’écrivaine, amoureuse des chevaux, de la musique et des mots, n’a rien perdu de sa capacité d’envoûtement. Dans son nouveau recueil de nouvelles, l’autrice se penche sur notre rapport aux autres. Elle y crée de petits univers qui se font échos, au détour d’une ruelle, dans une écurie ou un studio de radio.
Alto : Dans Galumpf, on croise des personnages entiers, qui vivent intensément. À travers eux, tu explores les thèmes de l’empathie, de la relation aux autres et aux animaux. Qu’est-ce qui t’interpelle dans ces sujets ? (Te définis-tu comme quelqu’un qui vit intensément ?)
Marie Hélène Poitras : J’ai constaté en réunissant mes textes que c’est un thème qui revient dans mes nouvelles. Cette attention aux êtres qui nous entourent, humains, animaux, environnement, tout ce qui vit autour, tout près, ça m’inspire. Il y a un équilibre à trouver entre le respect des autres et de soi-même, entre les choix individuels et collectifs. Il me semble que ça a été particulièrement flagrant durant les dernières années pandémiques.
Sur un autre plan, pour moi, l’écriture et la lecture sont des actes d’empathie, une façon de se connecter aux autres et d’aller au plus près d’eux. Écrire a toujours été pour moi une manière de me lier aux autres. Dans mon recueil, la narratrice-écrivaine revient dans quelques histoires. La nouvelle homonyme, « Galumpf », traite du rapport d’une écrivaine aux mots, de cet éveil à l’écriture et à la lecture dans son enfance.
Je ne sais pas si je suis quelqu’un qui vit intensément, je me vois comme quelqu’un d’assez calme avec une intériorité mouvementée.
A : Qu’est-ce qui te plaît dans la nouvelle, comme genre et comme forme ?
MHP : La nouvelle est pour moi l’essence même du récit. C’est le cœur battant des histoires, livré entier, sans rien d’autre alentour. J’aime construire de petites nouvelles très denses, courtes, mais cousues de longues phrases, comme au bord de l’implosion. J’aime aussi m’installer avec plus de souplesse dans les longues. C’est stimulant de pouvoir changer d’univers et de personnage fréquemment, de découvrir qu’un fil relie mes textes et qu’un recueil prend forme. C’est un genre qui nous permet de risquer plein de choses et d’abandonner en chemin ce qui fonctionne moins. Un terrain de jeu très fertile, je trouve.
A : Comment sait-on qu’une nouvelle est réussie ?
MHP : Bonne question. Je pense que c’est comme pour un roman. Quand quelque chose de fluide, de riche et d’un peu magique se met en place et que ça coule de source, c’est bon signe. Je n’ai plus envie de me battre contre mes textes ; j’abandonne ceux qui résistent trop. Je pense aussi qu’il y a quelque chose de capital à trouver dans le positionnement narratif et le choix du temps verbal, qui appellent différents types d’histoires. La nouvelle ne nous oblige pas à ficeler une finale fracassante et punchée. Elle peut se refermer tout doucement… Elle est beaucoup plus protéiforme qu’on le croit.
A : Pourquoi « Galumpf » ? Peut-on le révéler aux lecteur·rices d’(aparté) ?
MHP : C’est mon petit secret et il ne sera révélé qu’aux lecteur·rices du recueil. Je peux quand même dire que ça a rapport avec un morse en pyjama qui se brosse les dents.
A : Tu tenais à ce que la couverture soit ornée d’une oeuvre d’Ai Natori, une peintre que tu aimes particulièrement. Qu’est-ce que tu vois dans la toile choisie qui fait écho à ton oeuvre ?
MHP : Je suis cette artiste japonaise sur Instagram. Ai Natori ne peint que d’étranges petites filles bleues. Lorsque je suis tombée sur celle qu’on a choisie, l’expression mélancolique et complexe de la petite fille, son regard ouvert sur l’autre et vissé aux yeux qui la regardent m’a donné envie de l’avoir en couverture. Nous avons approché l’artiste et je lui ai parlé du recueil, des thèmes que j’aborde, de sa noirceur, mais aussi de sa lumière. Ai Natori s’intéresse elle aussi au thème de l’empathie. De plus, comme il y a une forte prédominance de narratrices dans mon recueil, j’aime qu’un personnage féminin apparaisse en couverture.
A : Tu t’amuses à te mettre en scène, ainsi que ta famille, en faisant de très habiles mises en abyme, notamment dans « La petite fille qui avait un trop gros chien ». Est-ce que ta famille vit bien avec ça ? Fais-tu lire à tes proches ce que tu écris sur eux ou tu préfères qu’ils le découvrent plus tard ?
MHP : Je crois que ça les amuse. Ce sont de petits clins d’oeil, rien de bien compromettant. Lorsque ces personnages sont plus qu’inspirés par eux, qu’ils sont eux, je laisse parfois leurs noms, comme une petite trace de la personne réelle. Sinon, c’est très facile de brouiller les pistes et de camoufler la référence. Une amie m’a dit qu’elle trouve que je me révèle pas mal dans Galumpf. Il est vrai que c’est plus apparent que dans mes romans. C’est peut-être cette transparence qui m’a menée naturellement à exposer certaines personnes de mon entourage, ce que j’ai fait avec beaucoup d’affection et de tendresse.
A : Dans « Écrire, monter », tu abordes ta relation aux chevaux, ton âme de cavalière ; l’acte de monter à cheval que tu compares à celui d’écrire, tous les deux nés d’un même élan, d’une même fureur de vivre. Est-ce que monter te manque ?
MHP : Monter un certain type de cheval (haut, sanguin, puissant) dans un contexte décontracté, par un beau soir d’été, oui, ça me manque.
A : Est-ce qu’un ou des livres a/ont eu un impact important sur toi ? Dirais-tu que ton écriture est influencée par tes lectures ?
MHP : Pour les nouvelles, le grand déclencheur de mon envie d’en écrire, c’est Raymond Carver, son recueil Les vitamines du bonheur en particulier. J’adore les nouvelles de Patricia Highsmith – dont j’apprécie l’oeuvre complète – d’ailleurs, je cite une de ses nouvelles (La terrapène) dans l’une des miennes (« La petite fille qui avait un trop gros chien »). Récemment, on m’a fait découvrir la nouvelliste américaine Shirley Jackson. J’admire son style économe et son sens de la chute éclatante et brutale (La loterie et Les vacanciers sont pour moi des incontournables du genre). La Québécoise Natalie Jean est elle aussi une formidable nouvelliste, j’ai savouré ses histoires hypersensibles et j’aime sa prise toute personnelle sur le genre.
A : As-tu un projet d’écriture en cours ?
MHP : Oui, il y a plusieurs ronds allumés en même temps sur la cuisinière, mais ça cuit à différentes intensités et tout ne sera pas prêt en même temps. Sans blague, j’aimerais écrire un roman graphique avec plein de petits moutons laineux dedans. Une histoire inspirée de mes deux étés comme bergère urbaine au parc Maisonneuve à Montréal. Par contre, je n’ai jamais écrit de roman graphique – ça me challenge beaucoup. D’un livre à l’autre, j’aime me mettre au défi, ne pas répéter ce que je maîtrise, avec le risque que ça implique.
A : Voudrais-tu nous confier autre chose ?
MHP : Je constate que la nouvelle est un genre mal aimé (souvent par des lecteur·rices qui ne le connaissent pas vraiment). Elle incarne pourtant à mes yeux l’essence même du récit et de l’art du storytelling. Les gens disent parfois ne pas aimer les nouvelles, pourtant tout le monde aime les histoires. Pour moi, c’est la même chose. Il est vrai que le mot « nouvelle » a quelque chose d’un peu sec et plat, alors qu’« histoire », c’est beaucoup plus attrayant. En anglais, on parle de short story justement.
Marie Hélène Poitras
Galumpf
«Comme le cavalier qui s’apprête à mener son cheval sur la piste, on ne peut que s’incliner devant cette quête d’inconfort, qui livre chaque fois un véritable joyau littéraire.»
Le Devoir