C’est une règle universelle : il n’y a jamais de bon moment pour perdre un ordinateur. Peu importe quand ça se produit, c’est toujours la pire journée.

La canicule s’est abattue sur Montréal, détraquant bêtes et gens. Autour de moi, toutes sortes d’appareils flanchent un après l’autre. Le frigo et le climatiseur produisent de drôles de bruits, la télévision refuse de s’allumer, et mon fidèle MacBook surchauffe.

Ça a débuté sournoisement. Les programmes plantaient de manière erratique, puis la carte graphique s’est mise à déraper. Le système a commencé à redémarrer à répétition, en m’affichant tour à tour des messages en japonais et des écrans mauves. Le mauve de la robe de Wendy, dans The Shining. J’en avais des sueurs froides.

La source du problème est difficile à identifier, car ma machine est plutôt atypique. Elle est montée hack sur hack, pour ainsi dire. Au cours des années, j’ai gonflé la RAM, changé le disque dur, et installé Yosemite en sautant par-dessus trois versions de systèmes d’exploitation. Conséquence : les outils de diagnostic conventionnels ne reconnaissent plus rien. Mon ordi est désormais comme cet arrière-grand-oncle qui aurait vécu dans le bois depuis les années soixante-dix, et dont toute la parenté a oublié l’existence.

Bref, je commence à me demander sérieusement si je ne vais pas devoir changer de machine après huit ans de bons et loyaux services.

C’est une règle universelle : il n’y a jamais de bon moment pour perdre un ordinateur. Peu importe quand ça se produit, c’est toujours la pire journée. Pour un écrivain, ça veut notamment dire changer de clavier. Se faire à une autre touche, un autre rythme. C’est un petit drame.

J’ai fait du déni pendant deux jours. Je notais les symptômes en faisant la tournée des forums d’utilisateurs. Je pensais nerveusement à mon manuscrit, et à cette chronique que Chloé, chez Alto, me demandait avec une diplomatique insistance.

Je rageais, j’enrageais, et je songeais que nous étions décidément idiots d’accepter une telle dépendance à la technologie. Acheter un nouvel ordinateur, c’était acheter du temps, quatre ou cinq ans au mieux.

Pour paraphraser le regretté F’murrr, toute technologie porte la promesse de son autodestruction ; il suffit d’attendre.

Je rêvais à la simplicité du temps jadis. Peut-être était-ce enfin l’occasion de revenir à la machine à écrire ?

Une Olivetti planterait moins que mon Mac, mais il faudrait tout de même compter avec la rareté du ruban encreur ou des réparateurs de machines à écrire. Les plus jeunes doivent avoir dans les quatre-vingt-dix ans.

Du reste, je doute que la machine à écrire représente moins de tracas au quotidien. Il faut dépoussiérer, huiler, ajuster – et réapprendre à taper de sorte que les marteaux ne coincent pas. Contrairement à un ordinateur, la bête ne tolère qu’une touche à la fois.

Peut-être devrais-je plutôt imiter Neal Stephenson et carrément revenir au stylo-plume ? Après tout, je me suis acheté une plume Pilot cet hiver, et il s’agit d’une technologie vraiment extraordinaire – la maîtrise combinée de la métallurgie, des lois de la capillarité et du design industriel japonais.

Mais ne rêvons pas : les problèmes qui affligent le stylo-plume sont aussi rares que prodigieusement subtils. Il faut savoir comment réaligner une pointe, la polir, ajuster au besoin la largeur du canal en y glissant avec délicatesse une feuille de bronze. Et ne parlons pas du piston qui coule, des joints défectueux ou des fuites d’air, ou encore des tracas occasionnés par une encre trop fluide.

Non, décidément, rien ne vaut la rémige d’oie domestique. Comme l’écrivait L. F. Pillon en 1847 dans son Traité complet de la taille de la plume, « la matière dont les plumes de fer sont composées n’est ni assez douce, ni assez flexible pour produire des traits moelleux et corrects ».

Mais attendez un peu avant de vous garrocher chez l’éleveur d’oies le plus proche : la préparation de la plume d’oie est complexe. Il faut prélever les rémiges (il n’y en a que huit par animal), procéder au durcissement et au dégraissage à la flamme, se munir d’un canif à manche rond, bien aiguisé, et apprendre les huit étapes de la taille.

Bref, je n’ai pas encore pris ma décision. Je niaise et je temporise. J’ai bricolé un support pour mon Mac avec trois planchettes, un bout de fil USB et un vieux ventilateur trouvé dans un ordinateur. Ça refroidit le temps d’une chronique.

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