

La part de l'océan - Dominique Fortier
Fiche de lecture
Alors qu’il est plongé dans la rédaction de Moby Dick, Herman Melville fait la connaissance de Nathaniel Hawthorne, une rencontre qui bouleversera le cours de sa vie et celui de son roman. De cette histoire vraie subsistent aujourd’hui une poignée de lettres qui ont servi de point d’ancrage à La part de l’océan, un livre comme une traversée sans carte et sans boussole.
Au fil des pages, un deuxième échange se tisse entre celle qui retrace la création du grand roman américain et un compagnon mi-réel et mi-inventé, un homme qui est d’abord un poème. Car, en vérité, les écrivains sont faits de trois moitiés. La troisième part, têtue et fragile, est celle du rêve. C’est à elle que l’on doit ce récit éblouissant, traversé de fulgurances, qui raconte le plus beau des naufrages.
La part de l'océan a été publié conjointement avec son livre compagnon aux Éditions du passage - le recueil de poésie Notre-Dame de tous les peut-être.
Faits saillants
En partie basé sur des faits historiques romancés.
Exploration de la vie de l’écrivain Herman Melville et du roman Moby Dick lui-même.
Alternance de styles et de modes narratifs.
Réflexions d’une grande justesse sur l’écriture, le désir et l’articulation entre le rêve et la réalité.
Informations pédagogiques
Époque·s
19e siècle et période contemporaine.
Lieu·x
Nouvelle-Angleterre
Québec
Thèmes
Écriture, amour, désir, océan et monde naturel, étymologie, symboles, réalité et imaginaire, navigation, poésie.
Style et construction du récit
Style poétique, images et réflexions d’une grande profondeur, réseau symbolique vaste et ramifié. Le roman alterne entre le quotidien de Melville autour des années 1850, raconté à la troisième personne, et le présent de la narratrice au début des années 2020, narré à la première personne. Ces deux trames sont entrecoupées de courts passages exposant des faits relatifs au monde océanique et maritime, ainsi que de fragments poétiques attribués à Elizabeth Melville.
Pistes de réflexion
Le roman Moby Dick est au cœur de La part de l’océan. Proposer aux élèves de lire des extraits de cette œuvre et de réfléchir à la manière dont le texte de Fortier leur fait écho.
L’auteure entraîne ses lecteurices dans l’intériorité de personnages ayant réellement existé. Proposer aux étudiant·e·s un exercice d’écriture où iels choisissent un personnage historique et imaginent son monologue intérieur.
Le recueil de poésie Notre-Dame de tous les peut-être est, selon l’auteure elle-même, le livre compagnon de La part de l’océan. Proposer aux étudiant·e·s de lire les deux et d’identifier les points de convergence entre les œuvres.
En complément
Lectures
Notre-Dame de tous les peut-être, recueil de poésie de Dominique Fortier
Moby Dick, roman de Herman Melville
La lettre écarlate, roman de Nathaniel Hawthorne
Les tables, recueil de poésie de Martine Audet
Blind, livre de Sophie Calle
La plus que vive, roman de Christian Bobin
Vers d'autres arts
Les œuvres photographiques de Paul Cupido
Le sentiment océanique, balado de France Culture
In the Mood for Love, film de Wong Kar-waï
Le grand bleu, film de Luc Besson
La jeune fille à la perle, film de Peter Webber
Les vestiges du jour, film de James Ivory
Lost in Translation, film de Sophia Coppola
Extraits
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Pages 18-19
« Pendant ce temps, Simon et moi nous sommes écrit presque tous les jours.
Durant des semaines entières, alors que j’aurais dû me replonger dans mon livre, je n’arrivais à faire rien d’autre. Certains jours, alors que j’avais cru faire avancer mon roman, je me rendais compte que j’avais simplement continué à lui écrire, mais autrement.
Il m’a fallu des mois, mais j’ai fini par comprendre ce que mon livre savait déjà : notre histoire faisait partie du roman qui refusait d’exister sans elle. »
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Pages 40-41
« Le romancier cet automne-là se lance chaque matin dans son manuscrit comme on se jette à la mer, yeux fermés, en retenant son souffle. Il écrit au fil de la plume, sans s’arrêter, une longue coulée qui jaillit de la pointe dorée pour aller danser en vagues sur le papier. Il y verse pêle-mêle tout ce que contient son crâne, comme on vide ses poches le soir en rentrant à la maison, sans chercher à maîtriser, à ordonner, à trier ni même à reconnaître. Tout cela viendra après, quand il aura fini de constituer la matière dans laquelle il pourra tailler son livre. Herman Melville est un sculpteur qui doit créer sa propre argile. Aussi bien dire : il est Dieu.
Il le sait : les livres ne s’ouvrent devant nous que lorsque nous sommes nous-mêmes ouverts, béants comme des cavernes, des mains aux doigts écartés, les lèvres d’une plaie. Le reste du temps, tout cela rester fermé, chacun de son côté, et la lumière attend. Elle a toute la vie devant elle, et la patience de ce qui sait que derrière la vie reste encore la blanche immensité de la mort. »
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Page 88
« la lumière a tourné imperceptiblement il fait bleu dans la chambre et par la fenêtre ces premières minutes d’aube sont chaque fois un mystère chaque matin je la découvre comme si je ne l’avais jamais vue chaque jours je suis envahie par la même stupeur voilà pourquoi je n’aurais jamais pu être écrivaine mon roman ne serait jamais allé plus loin que le lever du jour je resterais pétrifiée je ne saurais rien raconter d’autre ni rien inventer de mieux »
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Page 241
« Au dix-neuvième siècle, le lard des cétacés – qu’on appelle blanc de baleine – était utilisé pour produire une huile de grande qualité, presque sans résidus, qui alimenterait les lampes. Avec les baleines, on fait de la lumière. Mais d’une peine ou d’un amour trop grands pour ce monde, que fait-on? »
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Page 297
« Assis en tailleur par terre dans le salon à la campagne, nous nous chauffions au feu que j’avais réussi à allumer dans le grand foyer en pierre. C’était la première soirée froide. Le lendemain, je devrais participer à un événement. J’aurais dû monter me coucher, mais je suis restée devant toi et le feu. Les heures filaient.
Sans me regarder, à un moment, tu as dit : It’s like a very slow train wreck.
En nous séparant pour aller dormir, presque à l’aube, nous avons oublié de refermer les portes du foyer; le lendemain matin à notre réveil, la maison entière sentait la cendre. »