Maleficium - Martine Desjardins
Fiche de lecture
Pardonnez-leur, mon père, car ils ne savent pas ce qu’ils ont fait. Pardonnez à ces sept hommes victimes d’étranges maléfices, venus chercher dans le confessionnal une oreille attentive au récit de leur infortune et implorer le salut de leur âme souillée par la curiosité et la faiblesse de la chair. Pardonnez aussi à cette femme calomniée, emmurée dans un cruel silence, car elle sait bien ce qu’elle a fait. Pardonnez enfin à l’homme de Dieu qui a recueilli leurs aveux et brisé le sceau de la confession en les transcrivant dans un ouvrage impie.
Lecteur, vous tenez entre vos mains une version remaniée mais non expurgée du mythique Maleficium de l’abbé Savoie (1877-1913), prêtre sacrilège dont on sait peu de chose, sinon qu’il termina ses jours cloîtré dans un monastère après avoir été mystérieusement frappé de surdité. Sachez que la lecture de cet ouvrage délétère pourrait provoquer un certain malaise chez les âmes pures, exciter les sens ou éveiller des désirs inavouables, et qu’en cédant à ses charmes vous risquez d’encourir l’excommunication. Vous voilà averti.
L’auteure du Cercle de Clara et de L’évocation (prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec) nous offre une fresque baroque en huit tableaux, une invitation à voyager aux limites des plaisirs et de la souffrance. Une œuvre rare, parfumée de fantastique, d’exotisme et d’érotisme, portée par une langue somptueuse. Jamais le péché ne vous aura semblé aussi irrésistible.
Informations pédagogiques
Époque.s
19e siècle
Lieu.x
Montréal, Bombay, Zanzibar, Srinagar, Éthiopie, Yémen, Oman, Chiraz et Naplouse
Thème.s
La religion, le péché, la sensualité, l'érotisme, le voyage et la figure féminine vengeresse
Style et construction du récit
Le roman est une retranscription de sombres révélations dont l'abbé Savoie a été témoin au cours de sa carrière. Sans compter l'introduction et le dernier chapitre où la femme à la lèvre fendue raconte son histoire, le roman est séparé en sept parties — une pour chaque confession.
Pistes de réflexion
Réflexion: Maleficium se présente comme une œuvre mise à l’index. Réfléchir à la question de la censure et du tabou en littérature en citant des cas réels.
Étudier la question de la fiabilité narrative. Le lecteur est prédisposé à faire confiance. Il ouvre le livre, lit une notice lui certifiant que tout y est véridique et il le croit. Les narrations ici sont imposées comme faits parce qu’elles sont mises sur papier par l’abbé Savoie et sont présentées comme des confessions. Les personnages, lorsque présentés sans vices, sont jugés fiables, a contrario, le lecteur aura tendance à mettre en doute la parole de voleurs ou de présumés coupables. Évaluer la crédibilité des récits et l’impact de la note de l’éditeur sur la lecture en invoquant l’effet de mystification en littérature.
Étudier l’apport des cinq sens dans l’écriture de Martine Desjardins. En littérature, l’apport des sens est souvent relégué à l’arrière-plan, réussissant parfois à se hisser au plan thématique, tout au plus. Étudier les cinq sens tels qu’ils apparaissent dans l’espace diégétique proposé par le texte, les caractéristiques ou contraintes que cet espace impose à la vie sensorielle, et vice-versa, ainsi que les impacts de mise en évidence des sens sur la narration.
Exercice d’écriture: Moderniser les pécheurs. Poser leurs gestes dans un contexte contemporain et en imaginer les conséquences.
En complément
LECTURES
Djinn T.1 : La favorite, de Jean Dufaux et Ana Mirallès, chez Dargaud
Les fleurs du mal, de Charles Baudelaire
Les mille et une nuits, Anonyme
Le Moine, de Matthew Gregory Lewis
Les passagers du vent, de François Bourgeon, série de bandes dessinées
Relations de voyages autour du monde, de James Cook
Voyages au Canada, de Jacques Cartier
VERS D'AUTRES ARTS
Into The Labyrinth, de Dead Can Dance (musique)
La Plume et le sang, dePhilip Kaufman, 2000 (film)
Œuvres de Hieronymus Bosch (peinture)
Œuvres de Odd Nerdrum (peinture)
Œuvres de Odilon Redon (peinture)
The Carny, de Nick Cave and The Bad Seeds (musique)
Extraits
p.30
«L’odeur de safran.. d’où vient-elle?»
Elle entrouvrit les lèvres et laissa échapper :
«Sous ma tunique…»
D’un geste, je retroussai ses jupes et découvrir ses jambes, qui étaient striées de longues coulées de sang orangé. Aussitôt, le parfum de safran me prit à la gorge et les larmes m’en vinrent aux yeux. Il n’y avait plus de doute possible : la source de mon trouble émanait de la nature même de la jeune fille.
p.130
Le révérend Baxter était accompagné d’une jeune femme qu’il me présenta comme son assistante et qui avait elle-même l’air d’un rosier tant il y avait de fleurs piquées en couronne autour de sa tête. Ses cheveux avaient d’ailleurs la couleur du bois de rose et lui tombaient jusqu’au bas du dos – pas en boucles souples et soyeuses, toutefois, mais en broussailles rêches, enchevêtrées, hirsutes! On aurait dit une forêt de ronces gardant le château d’une belle endormie, prête à retenir dans ses rets toute main qui s’y serait égarée. Cette coiffure donnait à la dame un air revêche, qui n’était en rien adouci par un défaut qu’elle avait à la lèvre supérieure, une sorte de cicatrice en forme de dard.