David Mitchell Crédit photo Murdo Macleod

Dans un roman kaléidoscopique aux accents d'opéra rock, David Mitchell raconte avec une minutie éblouissante le mystère de la composition de chansons, le tumulte des premiers concerts et des sessions en studio, les ambitions contradictoires et la douce morsure de la gloire. Rencontre avec le créateur d'Utopia Avenue, un groupe folk rock psychédélique du Londres des années 1960.

Alto - Vous avez cette capacité de passer d'un genre littéraire à un autre à l'intérieur d'un même roman. C'est le cas dans Cartographie des nuages, Les mille automnes de Jacob de Zoet, mais aussi dans L'âme des horloges. Est-ce un défi personnel que vous vous imposez? Quelle est votre relation avec les divers genres littéraires?

David Mitchell - Chaque livre dicte sa propre nature ; et, par extension, ses limites ; et, par extension, son ou ses genres littéraires. Mais peut-être aussi que cette idée d'un livre doté d'une conscience n'est qu'une vanité d'auteur, parce que ça lui donne des airs de médium. Et qu'il est certainement plus cool d'être un médium qu'un nerd-des-mots. Peut-être aussi qu'on les ressent comme conscients en les écrivant.

Je vois les genres littéraires comme des outils pouvant soutenir la construction de l'histoire. Est-ce que cela veut dire que j'ai «une relation» avec un genre ou un autre? Je n'en suis pas certain. Ce dont je suis certain par contre, c'est que j'aime écrire à l'intérieur de ces genres. J'aime déployer leurs figures de style caractéristiques. C'est comme se déguiser ou imiter un dialecte qui n'est pas le nôtre. J'aime particulièrement contourner ou renverser les codes ; parce qu'ils sont définis pas des clichés et que c'est en détournant les clichés que l'on produit de l'originalité. En plus, c'est très satisfaisant. Ça donne le sentiment d'avoir déjoué un ennemi. Je m'amuse aussi à insérer plusieurs genres dans une même histoire pour voir quelles couleurs ils prendront.

La science-fiction et le fantasy offrent une perspective intéressante pour aborder la réalité dans laquelle nous vivons. Ces deux genres en particulier sont comme des drones équipés de caméras qui renvoient des images de notre environnement sous des angles nouveaux. Dans L'âme des horloges, par exemple, j'essaie de parler de la mort en adoptant la perspective de personnages semi-immortels.

Alto - Certains de vos personnages réapparaissent d'un roman à un autre. Est-ce toujours prémédité ou est-ce que cela vous vient naturellement au fil du processus d'écriture?

David Mitchell - Mon côté pédant vous dirait: «En fait, la préméditation fait partie intégrante du processus d'écriture. Je ne peux donc pas répondre par l'un ou par l'autre, car la véritable réponse est "les deux".» Mais les pédants n'ont pas d'amis. Alors je répondrai qu'il m'arrive de réserver un rôle à l'avance pour un personnage qui existait déjà dans un précédent roman. Mais, en d'autres occasions, c'est le personnage lui-même qui postule l'emploi une fois que le texte est en cours d'écriture. Bref, «les deux».

Alto - Nous imaginons (sûrement à tort) votre bureau rempli de Post-it. Il est possible aussi que vous assumiez un côté geek littéraire et que vous utilisiez plutôt des logiciels tels que Mind Map ou Scrivener. Que pouvez-vous nous dire sur votre processus d'écriture d'Utopia Avenue?

David Mitchell - Les Post-it perdent leur adhérence après quelques jours, du moins dans le climat de West Cork. En ce qui concerne Scrivener (un mot que mon correcteur automatique désapprouve), je ne me fais pas à l'idée d'apprendre à l'utiliser. Je déteste le sentiment d'impuissance dans lequel me plonge un logiciel qui refuse de faire ce que je lui demande, même si le maîtriser m'économiserait, à terme, de précieuses heures. C'est peut-être de la paresse de ma part. Je n'ai même jamais fait de présentation PowerPoint!

Utopia Avenue est passé par différentes versions avant d'en arriver à sa forme finale. À un certain point, le roman était follement polyphonique et faisait entendre les voix de douzaines de personnages que les membres du groupe croisent sur leur chemin de l'obscurité vers leur bref moment de gloire. Mais ça n'a pas fonctionné, parce que le lecteur ne pouvait jamais savoir si tel ou tel personnage allait revenir et, conséquemment, ne savait pas s'il devait retenir son nom ou l'oublier aussitôt. Alors bon, j'ai gaspillé quelques jours sur cette voie, mais peu importe. Parfois, il faut essayer pour constater que ça ne fonctionne pas. Parfois, ce qui semble être un impressionnant édifice est tout simplement un échafaudage.

Une fois que l'idée m'est venue de séparer le livre en trois sections correspondant aux trois albums qu'endisque Utopia Avenue, la forme du roman s'est fixée et a cessé d'évoluer. il y a de ces idées qui bottent des c***! Elles sont solides et ne se mettront pas à chanceler.

Alto - Chaque membre d'Utopia Avenue a un côté sombre et un côté lumineux, tout comme sa musique. Avez-vous une préférence pour l'un d'eux? Seriez-vous fan du groupe s'il existait?

David Mitchell - J'aime tous mes enfants dans leur unicité, mais Jasper me ressemble davantage qu'Elf ou Dean. C'est un rêveur vulnérable hanté par des voix.

Oui, je serais un fan d'Utopia Avenue. La plupart des écrivains envient les musiciens pour le sex-appeal qu'ils dégagent quand ils sont sur scène et parce qu'ils reçoivent une rétroaction immédiate de leur auditoire. Je ne pourrais jamais être dans un groupe je n'ai jamais appris à jouer d'un instrument et j'ai moins de charisme qu'un comptable , alors Utopia Avenue est comme mon groupe par procuration. Parfois, on rêve pour compenser.

Alto - Les romans qui parlent de rock et/ou de musique sont peu nombreux. L'industrie de la musique a réservé un accueil très positif à Utopia Avenue. Est-ce que cela vous a surpris, peut-être soulagé?

David Mitchell - Même s'il y a peu de romans sur le rock, il y a assez de récits et de biographies sur le sujet pour remplir un stade. J'en ai lu une vingtaine ou une trentaine, alors si j'avais complètement cochonné l'histoire du groupe, je n'aurais eu que moi à blâmer. Bien sûr que je me suis réjoui quand quelques initiés de l'industrie de la musique ont fait des commentaires positifs à propos du livre (merci, Brian Eno), mais dire que j'ai été «soulagé» serait exagéré. Pour devenir insensible aux critiques négatives, il faut aussi ignorer les critiques positives. Bref, ne lisez pas les critiques. À ce propos, Ken Kesey a dit (je paraphrase) : «Les enfants, les bonnes critiques n'aident en rien et les mauvaises critiques font quand même mal.»

Alto - Vous avez pris des leçons de piano et de guitare pour comprendre comme on crée de la musique. Est-ce que cela a aussi influencé votre processus d'écriture?

David Mitchell - Mes leçons de musique n'ont pas influencé la manière dont j'écris, mais elles ont nourri ce que j'ai fait. Elles m'ont apporté des iwaths. [Iwath est un néologisme qui décrit un fait, une impression ou une perception à propos d'un lieu, d'une personne ou d'une action, et que l'on peut seulement acquérir par l'expérience. C'est un acronyme tiré de la phrase «I WAs THere» (j'y étais).] Par exemple, le iwath d'un guitariste pourrait être l'entretien des callosités au bout de ses doigts. Le iwath d'un batteur pourrait être sa tendance à accélérer le rythme au fil d'une chanson. Idéalement, on devrait inclure trois iwaths dans chaque scène.

Alto - Tout comme Syd Barrett était le fantôme dans la pièce lorsque Pink Floyd a créé Wish You Were Here, plusieurs figures tragiques du rock hantent les pages de votre roman. Est-ce que votre vision de l'industrie du rock a changé?

David Mitchell - Je ne dirais pas que ma vision de l'industrie musicale a significativement changé à la suite de l'écriture d'Utopia Avenue : il serait plus juste de dire que j'ai approfondi ma connaissance du milieu grâce aux recherches que j'ai faites pour le roman. Insérer des personnes ayant réellement existé dans ma fiction m'a amusé. Le roman se déroule en 1967 et 1968, une époque où ces «vraies» personnes, pour la plupart, n'étaient pas encore célèbres. J'ai aimé les imaginer et les écrire comme de jeunes artistes vulnérables et avides de succès, et non comme les vedettes sûres d'elles qu'ils allaient devenir.

Alto - Il était particulièrement intéressant de lire dans The New Yorker : «Je commence à envisager un méta-livre qui rassemblerait tout ce que j'ai écrit et dans lequel chacun de mes livres deviendrait un chapitre individuel.» Que pouvez-vous nous révéler sur ce «méta-livre»?

David Mitchell - Je ne suis pas tant «à la recherche» du méta-livre, mais plutôt en train de le construire en plein vol, comme les chimpanzés intelligents du film Madagascar. Le prochain roman aura quelques éléments de l'étrangeté structurelle de Cartographie des nuages et il fera des liens avec certains autres de mes romans. À ce point-ci, j'ai l'impression que ce serait déplacé de ne pas faire un peu d'intertextualité. Mais je prends beaucoup trop de temps pour l'écrire.

Alto - Peu de gens savent qu'Antoine Tanguay, éditeur chez Alto, tient le rôle d'un DJ dans L'âme des horloges. À votre tour de jouer au DJ : que serait la bande sonore d'Utopia Avenue?

David Mitchell - Avec plaisir! DJ Avenue présente :

Crédit photo : Murdo Macleod

David Mitchell

Utopia Avenue

«David Mitchell déploie une virtuosité déjantée pour restituer en mots chacune des notes – y compris les fausses – de cette partition d’émotions existentielles.»

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