Mariant les médiums, les idées et les influences, les artistes visuels Walter Martin et Paloma Muñoz créent des scènes miniatures remplies de métaphores et de fantaisies, qui mettent en lumière les beautés et les affres de la condition humaine. Le temps de répondre à quelques questions, ceux à qui on doit la couverture du Complexe de Salomon nous ouvrent les portes de leur univers.

En tant que duo, il semble que vos œuvres aient fusionné peu après que vous ayez uni vos destins. Comment créez-vous avec deux cerveaux et quatre mains ?

Walter : Notre collaboration est un arrangement très circonstanciel. Nous sommes une équipe sans capitaine. Toutefois, au fil de l’élaboration de nos projets, celui qui a le plus de conviction ou qui a la solution la plus originale prend les rênes. C’est-à-dire que, au fur et à mesure qu’un projet mûrit et se transforme, l’initiative passe de l’un à l’autre.

La création artistique, c’est comme la musique. C’est amusant de jouer avec une personne dont vous vous fiez à l’instinct, dont vous respectez les compétences et dont vous appréciez les idées. C’est aussi un soulagement de ne pas toujours mener la danse.

J’aime que l’œuvre que nous mettons au monde soit quelque chose de tout à fait neuf, non seulement le fruit des efforts de l’un ou de l’autre ni même l’expression de nos sensibilités communes, mais aussi quelque chose d’autonome et d’étrange.

Vous avez réinventé la boule à neige. Pourquoi est-elle devenue pour vous une manière inspirante et durable de présenter de petits univers ?

Walter : Nous y avons vu une occasion de subvertir le kitsch du monde douillet des scènes hivernales. Nous voulions subvertir le récit de la scène enneigée pour lui prêter un caractère plus énigmatique et provocateur.

Dans nos petits univers, la nature est un personnage sombre, un antagoniste panthéiste doté d’un sens de l’humour malicieux. Créer un monde avec ses propres paramètres, règles et caractères uniques, c’est comme construire un théâtre et une scène pour répondre aux exigences de votre répertoire.

Paloma : Les «voyageurs» de nos boules à neige sont des personnages désorientés et déplacés. C’est comme s’ils se réveillaient au milieu d’un cadre étrange.

Dans Essai sur la littérature canadienne, Margaret Atwood relate l’effet négatif du dernier voyage tragique de Franklin, cette «incarnation de l’expédition maudite », sur la psyché des auteurs canadiens. Aux États-Unis, le mythe de la conquête de l’Ouest ne représente pas une blessure à la psyché nationale. Au contraire, c’est un discours d’optimisme, de progrès et de réalisation de soi. On pourrait dire de notre série «Travelers» qu’elle appartient à un discours critique plus large sur la façon dont nous nous sommes égarés.

Dans une entrevue précédente, vous avez comparé les scènes de vos boules à neige à des nouvelles de John Cheever. Comment la littérature influence-t-elle votre travail artistique ?

Walter : C’est difficile à dire. Parmi les influences qui me viennent à l’esprit, il y a les contes de fées, les mythes, les débuts de la science-fiction, la romance et l’horreur gothiques, les mémoires d’expéditions désastreuses, les expéditions satiriques telles que Les voyages de Gulliver, les expéditions absurdes comme Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien d’Alfred Jarry et les dessins humoristiques de Charles Addams. 

Mais nos scènes ne sont pas des histoires. Ce sont au mieux des bribes de récits, des fragments de rêves. Des secrets que nous ne sommes pas censés connaître. En tant qu’objets de contemplation, les pièces d’un casse-tête sont généralement plus intéressantes que le casse-tête dans son ensemble.

Dans vos plus récentes séries, vous vous servez de boîtes à lumière. Qu’est-ce qui vous attire dans cette nouvelle façon de présenter les images ?

Paloma : Nos plus récentes séries s’inspirent des peintures de paysages du XIXe siècle de l’Hudson River School. Ces peintures ont un style romantique qui se situe entre le picaresque et le sublime. Elles représentent un monde naturel vierge qui déjà, à l’époque, était une fantaisie nostalgique, car le mouvement romantique était en partie une réaction à l’ère industrielle. La lumière est très importante ; les ciels sont grandioses, et les étendues d’eau, luminescentes. Nous avons photographié la plupart des tableaux au Metropolitan Museum of Art de New York et à la National Gallery de Washington D.C. De retour dans notre studio, nous avons effacé tous les éléments qui trahissaient l’époque – les bâtiments, les navires et les personnages – et nous nous sommes approprié le récit en y ajoutant nos propres figures.   

En examinant les premiers tirages, nous avons compris que le papier ne captait pas l’éclat rétroéclairé du ciel et de l’eau tel qu’on le voit sur un écran d’ordinateur, alors nous avons pensé aux boîtes à lumière. Le contraste entre la boîte à lumière, en tant qu’objet, et la peinture à l’huile romantique du XIXe siècle, en tant qu’objet, est très étrange. Nous avons aimé la conversation entre ces deux techniques.

Que pouvez-vous nous dire d’Uphill, l’image utilisée pour la couverture du Complexe de Salomon?

Walter : De toutes nos possessions, en existe-t-il une de plus anxiogène et de plus lourde de conséquences qu’une maison ? Le personnage a en quelque sorte déraciné sa maison et l’a coincée dans un chariot d’épicerie. Sa lutte pour la faire avancer sur un terrain impraticable est un cauchemar existentiel de futilité, de répétition et de servitude sisyphéenne. On dit d’un propriétaire qu’il est le roi dans son château. Ha ! Réveillez-vous, bande d’esclaves. Nous sommes enchaînés à notre demeure par une hypothèque, par un marché volatil, par un travail ou par nos études, mais surtout par les exigences incessantes d’entretien de la structure et du terrain sur lequel elle repose.

Paloma : Je suis d’accord et, à cet égard, il existe aussi des tensions financières moins tangibles et des pièges liés à la propriété. En plus de l’hypothèque, il y a le sempiternel problème de l’obsolescence des objets à l’intérieur de l’objet plus grand (la maison). C’est un écheveau cauchemardesque d’obligations qui pourrissent la vie. L’acquisition de biens s’accompagne de nombreux fardeaux.

Hélène VACHON

Le complexe de Salomon

Les grandes tragédies commencent presque toutes par une question anodine. Il vaut mieux les tuer dans l'oeuf, les tragédies comme les questions.

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