Fiche précédente
Mademoiselle Samedi soir - Heather O'NeillAutoportrait d'une autre - Élise Turcotte
Fiche de lecture
Les livres parlent d’apparition et de disparition,
comme le cinéma et le théâtre.
Celui-ci n’est pas tout à fait un roman
ni un récit.
C’est la descente dans un puits,
une cérémonie mexicaine,
une enquête dans la ville.
C’est une photo où une femme apparaît
en personnage oublié.
Une boîte enchantée où mon visage
se dessinerait s’il le pouvait
dans un miroir inversé.
Une écrivaine part sur les traces de sa tante, morte tragiquement des décennies plus tôt. Avec cette femme au destin singulier qui n’a laissé que peu d’écrits, elle amorce une conversation impossible sur l’art, la folie, l’exil, la pensée et la mort, tout en faisant résonner un faisceau de correspondances poétiques.
Élise Turcotte dessine une généalogie de la tristesse et de la création, et pose son regard sur celles qui nous ont précédés, sur ce qu’elles nous apprennent sur nous-mêmes et ce qu’elles nous permettent d’imaginer. Parce que toutes les histoires, même les vraies, sont des fictions.
Faits saillants
Texte à la fois biographique et autobiographique.
Travail d’imagination de la vie d’une femme méconnue.
Photos d’archives incluses dans le livre.
Références à des écrivains, artistes et figures marquantes du 20e siècle (du Québec et d’ailleurs).
Mention de maladie mentale et de suicide.
Informations pédagogiques
Époque·s
Des années 30 à aujourd’hui.
Lieu·x
Sorel, Montréal, Paris, Mexico.
Thèmes
Création, destins féminins, exil, amour, art, philosophie, voyages, identité, maladie mentale, amitié, filiation, effacement.
Style et construction du récit
Écriture poétique d’une grande profondeur; prose fouillée et lumineuse. Narration à la première personne révélant la voix de l’autrice avec beaucoup de franchise. Le livre est divisé en trois parties : Paris, Mexico et Montréal, et comporte un prologue et deux épilogues. De nombreux aller-retours dans le temps et dans l’espace créent une structure labyrinthique où les dates et les motifs récurrents agissent comme points de repère.
Pistes de réflexion
Le livre comporte de nombreuses allusions à des artistes féminines du 20e siècle : Kati Horna, Remedios Varo, Leonora Carrington, Loïe Fuller, Alcira Soust Scaffo... Proposer aux étudiant·e·s d’effectuer une recherche sur la vie et l’œuvre d’une de ces figures. Iels peuvent aussi imaginer une conversation entre ces artistes et Denise Brosseau.
L’autrice cite plusieurs ouvrages qui ont une parenté avec Autoportrait d’une autre, notamment Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan, Supplément à la vie de de Barbara Loden de Nathalie Léger ou Ce que je ne veux pas savoir de Deborah Levy. Proposer aux étudiant·e·s de lire un de ces livres et de relever les parallèles avec celui d’Élise Turcotte.
Proposer aux étudiant·e·s de choisir une personne réelle méconnue et d’imaginer sa vie en y juxtaposant des passages autobiographiques, à la manière d’Élise Turcotte.
En complément
Lectures
Supplément à la vie de de Barbara Loden de Nathalie Léger
Amuleto, roman de Roberto Bolaño
Toots fait la Shiva, avenue Minto, recueil de poésie d’Erin Moure
Les livres d’Élise Turcotte, particulièrement Autobiographie de l’esprit
Vers d’autres arts
Le désert rouge, film de Michelangelo Antonioni
Les plages d’Agnès, film d’Agnes Varda
Les œuvres de la peintre Remedios Varo
Les œuvres du peintre Fernando Garcia Ponce
La cravate, court-métrage d’Alejandro Jodorowsky mettant Denise Brossot en vedette
Extraits
Pages 23-24
En juin 2008, je commence à écrire dans un grand cahier noir. Un projet sur l’art. Un film, c’est ce que je voudrais faire. Une fiction documentaire. Un autoportrait à travers le portrait de ma tante Denise. L’autoportrait de ma tante.
Et puis plus rien, pendant des années.
Je travaille sur autre chose. Je vis des deuils. Je publie des livres. Je vais au Mexique lire des poèmes. Je poursuis mes recherches sur l’autoportrait. J’en écris. J’apprends comment des femmes peintres, surtout en dehors de l’Europe, ont su s’approprier le surréalisme tout en faisant un art qui leur est propre, détournant l’image de la femme fantasmée par ce courant artistique. Comment elles ont composé un autre récit pictural en brisant des frontières, en fragmentant le miroir promené devant le monde, en métissant les savoirs et les cultures. Les films d’Agnès Varda et de Paule Baillargeon traversent ma vie comme des météores. J’imagine des tableaux, j’apprends à filmer sans tenir de caméra. Je repense souvent à l’autoportrait de ma tante. Je souhaite encore faire un film. Je vois de la couleur, des images fortes, des monuments, des gens qui se déplacent, du son.
Ça n’arrivera pas. Je me débats contre tant de choses concrètes de la vie quotidienne, et par conséquent, contre ma propre force d’inertie. Tous les livres que j’ai écrits, je ne me rappelle pas les avoir faits, ni comment. Le tumulte vient de l’extérieur. Les tempêtes s’ajoutent les unes aux autres, mais elles ne m’emportent pas.
Page 122
Mais qu’est-ce qu’une muse?
Et pourquoi suis-je si résistante à ce nom? Je pourrais en faire une de mes figures emblématiques, comme la sirène, si je le voulais. Dans la mythologie grecque, les sirènes et les muses sont liées, bien que parfois ennemies. Elles transmettent leur savoir par le chant, elles sont omniscientes. Mais ce qu’on a surtout retenu, c’est que les sirènes sont dangereuses pour l’homme, alors que les muses sont douces et inspirantes. Elles servent d’intermédiaires entre l’artiste et les dieux. La sirène que j’aime vient d’ailleurs, de la mythologie nordique, et surtout du conte d’Andersen. Pour atteindre le monde des hommes, et surtout pour acquérir une âme immortelle, elle accepte, en échange de la transformation de sa queue en jambes, de perdre la voix. C’est peut-être dans cette perte qu’elle rejoint l’archétype de la muse.