Ici, ailleurs - Matthieu Simard
Fiche de lecture
Avouons-le d’emblée : les personnages principaux meurent à la fin. Ils avaient fui leurs souvenirs dans l’espoir d’en semer de nouveaux, dans un village qui se vide. Certains s’en vont, d’autres meurent, d’autres encore disparaissent dans la forêt. Ceux qui restent ne veulent pas vraiment d’eux. Ce n’est pas grave, ils ne sont pas là pour se mêler à leurs histoires mais pour oublier, se retrouver peut-être. La peur de ne jamais être capables de se relever les immobilisera pendant quatre mois, jusqu’aux coups de carabine dans la cuisine d’une maison centenaire.
Ils étaient venus ici pour ne pas être ailleurs. Ils n’en repartiront pas.
Voici un roman tragique, sans musique, mais rempli de lumière. Une berceuse silencieuse, un chemin vers l’automne aux embranchements mystérieux.
Faits saillants
Le roman se déroule dans un village presque désert où l’installation d’une étrange antenne engendre des phénomènes fantastiques et mystérieux;
Un couple fraîchement déménagé se partage la narration à la première personne;
Le récit se déroule aux suites d’un drame dont on devine les contours, mais qui n’est véritablement révélé qu’à la fin;
Le village mis en scène est lugubre, énigmatique et peuplé de personnages ténébreux;
Avertissement : Le récit comporte une scène de viol et une scène d’attouchements sexuels non consentis.
Informations pédagogiques
Époque·s
Contemporaine
Lieu·x
Un petit village québécois anonyme
Thème·s
Deuil (particulièrement le deuil infantile), famille, secrets, ruralité, violence, relation de couple, urbanisation, désespoir, altérité
Style et construction du récit
Écriture énigmatique qui laisse anticiper la fin tragique. Alternance de narrations endossées par les deux personnages principaux. Usage de sauts dans le temps pour construire la tension dramatique. Quelques moments fantaisistes sortent l’histoire du réalisme sans pour autant qu’il s’agisse d’un récit fantastique.
Pistes de réflexion
Le récit fait état d’une antenne dont l’installation enclenche le déclin du village. Néanmoins, aucune explication concrète n’est donnée au sujet de la fonction et des impacts de celle-ci sur les habitants. Identifier deux passages où les effets de l’antenne sont mis en scène, les analyser et en expliquer les impacts.
S’agit-il d’un récit fantastique, réaliste ou surnaturel? Discuter en s'appuyant sur le livre et sur les définitions des genres littéraires.
Ici, ailleurs ne mentionne pas la période lors de laquelle se déroulent les événements. L’œuvre nous en donne toutefois quelques indices. Relever les indices et identifier à quelle époque ils appartiennent.
En complément
Lectures
Incendies, pièce de théâtre de Wajdi Mouawad
Filibuste, roman de Frédérique Côté
Le poids de la neige, roman de Christian Guay-Poliquin
Les écrivements, roman de Matthieu Simard
Le Torrent, nouvelle de Anne Hébert
La Héronnière, recueil de nouvelles de Lise Tremblay
Vers d'autres arts
Répertoire des villes disparues, film de Denis Côté
Les illustrations de Owen Gent
Les gravures d’Albert Dumouchel
Au bout de nos traces, court-métrage réalisé par Elise Legrand et Pierre-Luc Racine
La llorona, album musical de Lhassa de Sela
Extraits
p. 51-52
«Nous construirons sur le terrain un abri invisible, antinucléaire, antigravité, ensemble dans un cocon de béton armé jusqu’aux dents. Le bois que nous avons mis de côté commence à sécher. Nous ne savons pas trop comment nous y prendre, ni pour faire un feu dans la cour ni pour commencer à être heureux.»
p. 74
«J’ai cru pendant quatre jours que tout serait réglé, que nous pourrions fêter. J’ai cru que j’étais enceinte, que notre objectif était atteint. Notre avenir paisible. Le passé étouffé. Je ne suis pas naïve, je sais bien que notre fille ne disparaîtra jamais complètement. Elle sera encore là quand elle aura un petit frère et qu’au bout de trois ans quand il la dépassera elle deviendra une petite sœur. Elle sera encore là dans la balançoire à côté du petit, les cheveux en bataille et une sandale détachée. Mais elle ne sera plus seule à occuper toute notre place.»
p. 127
«Chaque village a ses histoires, ses drames ses accidents ses disparus. Je ne crois pas au destin et j’imagine que si nous avions atterri ailleurs on aurait fini par nous raconter des horreurs similaires. Les petites horreurs de toutes les villes et de tous les villages, qui croisent ou chevauchent la nôtre. Nous avons choisi cette maison, ici, pour être loin de notre ancienne maison, en pensant que la distance changerait quelque chose. Nous nous trompions, bien sûr, sur l’endroit, la façon. Ici, ailleurs, avec ou sans enfant, nos plaies ne cicatriseront jamais. Nous survivrons malheureux, sans doute, comme Fisher ou les autres.»
