Fiche précédente
Perdre la tête - Heather O'NeillLa chambre verte - Martine Desjardins
Fiche de lecture
Toute maison a ses secrets, mais aucune ne les protège plus jalousement que l’auguste demeure de la famille Delorme. Avec ses soixante-sept serrures et sa chambre forte où gisent les restes momifiés d’une femme serrant une brique entre ses dents, cette véritable banque privée a toujours tenu à l’abri des regards indiscrets son lot de biens mal acquis, de vices cachés, de rites cruels et de substances illicites. Jusqu’au jour où elle ouvre sa porte à Penny Sterling, une jeune intrigante dont les ressources n’ont d’égal que la curiosité...
Saga familiale joyeusement gothique où les vieilles filles se soûlent à l’extrait de vanille, les orphelins cherchent à venger leur héritage volé et les maisons assouvissent leurs pulsions meurtrières, La chambre verte illustre, avec un humour vif et caustique, la fatalité des fortunes bourgeoises : la première génération amasse le capital, la deuxième le fait fructifier, tandis que la troisième dilapide le patrimoine jusqu’au dernier sou.
Faits saillants
Narration atypique et originale
Roman qui interroge le rapport à l’argent
Ambiance qui rappelle le roman gothique
Personnages loufoques que l’on prend plaisir à détester
Famille dysfonctionnelle, violence verbale
Informations pédagogiques
Époque·s
Milieu du 20e siècle avec quelques retours dans le passé (début du 20e)
Lieu·x
Ville Mont-Royal (même si ni Montréal, ni le quartier spécifique ne sont pas explicitement nommés, on y retrouve plusieurs repères géographiques faciles à reconnaître)
Thèmes
Rapport à l’argent, vengeance, avarice, relations familiales, religion, libre arbitre, capitalisme
Style et construction du récit
Narration omnisciente assurée par la maison de la famille Delorme. Le récit est divisé en trois parties, qui correspondent aux trois étages de la maison (rez-de-chaussée, étage et sous-sol), en plus d’un prologue et d’un épilogue. Les chapitres ne sont pas numérotés et la narration alterne entre des retours en arrière et le présent de l’intrigue. En plus d’assurer la narration, la maison joue un rôle, mineur, mais déterminant, dans l’intrigue. La langue est relevée avec la présence de plusieurs mots appartenant au registre soutenu.
Pistes de réflexion
Écrire un récit où une maison assure la narration et raconte la vie de la famille qui l’habite. Quels secrets cette maison révèle-t-elle sur ses occupants ?
Se servir des nombreuses références pour déterminer à quel moment les différents épisodes du récit se déroulent. Consulter les archives numériques de la BAnQ pour trouver davantage d’informations.
Discuter du culte que vouent plusieurs membres de la famille Delorme à l’argent. Celui-ci a-t-il vraiment rendu quiconque plus heureux ? Est-ce que la croyance du patriarche Delorme au sujet de la pièce originelle semble crédible ? Pourquoi ?
En complément
Lectures
La chute de la maison Usher, nouvelle d’Edgar Allan Poe
La Maison hantée, roman de Shirley Jackson
L’Avare, pièce de Molière
Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire, cycle de 13 romans de Leony Snicket
Les Chroniques du Plateau Mont-Royal, roman de Michel Tremblay
Un chant de Noël, conte de Charles Dickens
Le mythe de Midas
Vers d’autres arts
The Haunting of Bly Manor, série télévisée de Mike Flanagan
Un homme et son péché, film de Charles Binamé
Wall Street, film d’Oliver Stone
Le jugement de Midas, huile sur toile d’Abraham Bloemaert
Extraits
Page 11
Je savais bien qu’ils finiraient par trouver le cadavre. Ce sont, après tout, des huissiers consciencieux. Leur minutie, portée jusqu’à l’acharnement, ne leur a-t-elle pas valu la réputation d’être les plus redoutables de leur profession ? Même si j’en avais douté, mes craintes se seraient dissipées dès l’instant où je les ai vus s’engager dans l’allée tortueuse qui mène à mon perron.
Page 45
Assurément, il se trouvait dans une cathédrale – une cathédrale où l’odeur de l’argent avait remplacé celle de l’encens et où les guichets servaient de confessionnaux. Ici, pas de statue de la Vierge, mais celle d’une Mère patrie au regard placide. Pas d’autel, mais un comptoir à bordereaux. Et pas de crucifix non plus, mais un portrait grandeur nature du bon roi George V. Prosper s’avança avec respect et, au moment où il s’arrêtait devant le portrait, il se sentit parcouru d’une sorte de courant magnétique. Irrépressible, l’onde fit vibrer, au fond de sa poche, une très ancienne pièce de monnaie dont il ne se séparait jamais et dont le tintement fut répercuté d’écho en écho sous la coupole. Prosper retint son souffle. À n’en pas douter, il était en présence d’une force inconnue, capable d’attirer l’argent à elle et de commander aux fortunes des hommes. Il commençait même à soupçonner que Sa Majesté était l’objet d’un culte secret, dont les adeptes les plus dévots – banquiers, financiers, magnats de l’industrie – bénéficiaient de la protection et des largesses.
Page 177
Louis-Dollard se garde bien de discuter des ordres aussi péremptoires. Il retourne au garage, trop heureux d’échapper à la fébrilité qui court déjà à travers la maisonnée. Il ouvre le capot de la voiture, lance le moteur et se met au travail. Il n’est pas expert en mécanique et n’arrive pas à déterminer la nature du problème. Pendant qu’il vérifie si la courroie du ventilateur ne patinerait pas, je réfléchis aux ennuis qui se profilent si Estelle parvient à ses fins. Vincent est ma seule planche de salut et j’attends depuis des années son accession à la tête de la famille pour retrouver mon lustre d’antan. En toute conscience, je ne peux pas laisser Louis-Dollard le déshériter. C’en serait fait de moi. La chance qui se présente en ce moment risque de ne jamais se répéter. Elle est tellement inespérée que je ne peux y voir qu’un signe du destin. Oserai-je la saisir ?