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Steve Poutré

Lait cru - Steve Poutré

Fiche de lecture

La ferme québécoise n’est ni verdoyante, ni paisible; elle est hantée. Par les disparus, les histoires de peur, les secrets de famille et les poussins morts dans leur coquille. 

Parmi ces ombres, un garçon marche à la lisière des champs et des bois pour finalement franchir cette fine frontière, rejoignant corps flottants, acouphènes et cauchemars. Mais même hospitalisé, il continue d’arpenter le rang, de chercher ce qui, entre la servitude des humains et des bêtes, n’est peut-être pas perdu. 

Injectant une bonne dose de gothique dans le terroir québécois, Lait cru se boit d’une traite.

Faits saillants

  1. Récit raconté à la première personne par un narrateur sans nom

  2. Exploration de l’histoire familiale et de l’enfance

  3. Portrait sensible et tactile de la ferme québécoise et du monde rural

  4. Descriptions subjectives d’une institution psychiatrique du point de vue d’une personne atteinte de maladie mentale

  5. Éléments surnaturels; ambiance mystérieuse, macabre, frisant parfois l’horreur

  6. Mentions de consommation d’alcool et de drogue, d’automutilation et de suicide

Informations pédagogiques

Époques

Années 80-90 et époque présente

Lieux 

Ferme dans les Cantons-de-l’Est; hôpital montréalais

Thèmes

Famille, enfance, monde agricole, détresse des agriculteur·rice·s, maladie mentale, dépendance, solitude, imagination, rapports humains-animaux

Style et construction du récit 

Roman composé d’allers-retours entre le présent à l’hôpital psychiatrique et le passé du narrateur sur la ferme, qui convergent pour expliquer comment le narrateur s’est retrouvé dans cette situation. Courts chapitres, chacun doté d’un titre simple. Style à la fois poétique et percutant, phrases courtes, images frappantes.

Pistes de réflexion

  1. Discussion en classe sur les conditions de vie des agriculteur·ice·s. Mettre le livre en relation avec les statistiques sur la détresse des agriculteur·rice·s québécois·es, les manifestations des fermier·ère·s français·es. En quoi le roman de Steve Poutré parvient-il à apporter un éclairage différent sur les difficultés propres à ce milieu?

  2. Dans Lait cru, la narration glisse du présent au passé de manière très fluide, en prenant appui sur un détail qui crée un pont entre les époques. Proposer aux étudiant·e·s un exercice créatif où ce type de glissement s’articule sur divers objets, sensation ou anecdotes qui servent de pont entre le présent et le souvenir.

  3. Le roman établit à plusieurs reprises des parallèles entre le comportement animal et celui des humains. Demander aux étudiant·e·s de repérer deux de ces analogies et de les expliquer.

En complément

Lectures

Il préférait les brûler, roman de Rose-Aimée Automne T. Morin

Pet Sematary, roman de Stephen King

Mouron des champs et Expo habitat, recueils de poésie de Marie-Hélène Voyer

D’enfers et d’enfants, récits de fiction de Larry Tremblay

Encabanée et Sauvagine, romans de Gabrielle Filteau-Chiba

Méduse, roman de Martine Desjardins

Vers d’autres arts

«Run de lait», pièce de théâtre documentaire de Justin Laramée

«Richelieu», film de Pier-Philippe Chevigny

«Le démantèlement», film de Sébastien Pilote

«Le temps des framboises», série de télévision de Pierre Falardeau

Extraits

  1. Page 79

    « Mon existence s’est toujours comptée en litres de lait. En soirées de labourage, en volume de moulée ingurgitée. En corrections d’individus récalcitrants, en foin engrangé et désempaqueté, en clôtures de perches raboutées. En courbatures.

    Pour la première fois de ma vie, il m’est impossible de me rattacher à des gestes concrets pour entretenir ce sentiment d’accomplissement. Les muscles désinvestis y prennent goût rapidement, me boudent maintenant lorsque j’esquisse un effort.

    Le coucher du soleil caresse ces jambes et ces bras devenus un simple prolongement de ma carcasse. Le mauve enflamme la pièce en contournant la chaise près du lit. La lumière pousse sur ses pattes, semble la déplacer à l’extérieur de la chambre. Une chaise bannie comme un élève qui trouble l’ordre de la classe, punie pour n’avoir jamais tenu ses promesses de visites. »

  2. Page 157

    « Un cercueil dérive le long d’une rivière dans un village voisin, pour aboutir enfin aux portes de notre paroisse. On prévoyait de déplacer un vieux cimetière aménagé jadis trop près d’un cours d’eau, qui grugeait toujours plus de sol d’une année à l’autre. L’érosion risquait de déterrer les ancêtres. Les travaux ont démarré trop tard, si bien qu’au dégel une dizaine de caisses sortent des berges et tombent à l’eau. Des témoins voient les cercueils flotter sur plusieurs kilomètres. Les morts prennent de la vitesse, se cognent aux rochers et se mêlent aux embâcles. Par moments, des aïeux qu’on croyait définitivement immergés refont surface et remontent la rivière, apeurés à l’idée de devoir quitter leur patelin. L’un d’eux se fraie un chemin au travers des rapides et termine sa course là où le courant n’est plus assez fort.

    Je suis le seul à connaître son emplacement. Les ordres sont catégoriques, je dois garder le secret. Le voyageur est coincé entre deux rochers, à l’endroit où je dépose mon piège à écrevisses.

    Un soir, j’ose ouvrir le cercueil, pour constater avec effroi qu’il ne contient plus rien. Un long sillon partant de l’eau zigzague dans la boue. »

  3. Page 28

    « Je préférerais manger n’importe quoi d’autre pour souper. Au diable les petites perchaudes grillées, noyées dans de grosses cuillérées de beurre. On a beau me rappeler que même la reine d’Angleterre n’en mange pas d’aussi fraîches, le blanc et le froid me renfrognent.

    Mes pieds sont déjà gelés lorsqu’on éteint le moteur de la voiture. Mon père me regarde avec des yeux malicieux. À mon âge, il faut encore transformer la vie en jeu. Il me sort de vieilles bottes hautes qui ressemblent à celles portées par les astronautes. Mets celles-là, elles sont spéciales. On va pêcher sur la lune. Ce soir, on mange des étoiles.

    Nous creusons de petits cratères sur l’immense astre blanc. Une galaxie s’ouvre à nos pieds et attend qu’on y mouille nos radars. Les poissons tombent du ciel. Une pêche miraculeuse. Le jour explose de chair jaune, de sang et de peaux collantes. »

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