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Matthieu Simard

Les écrivements - Matthieu Simard

Fiche de lecture

Les traces de pas dans la neige finissent toujours par disparaître, comme des souvenirs qu’on est forcé d’oublier, soufflés par le vent ou effacés par le soleil. Celles de Suzor, parti un soir de décembre 1976, n’existent plus depuis longtemps. Pourtant, Jeanne les voit encore chaque jour par la fenêtre du salon.

Pendant quarante ans, elle s’est promis de ne jamais le chercher, mais lorsqu’elle apprend qu’il est atteint d’alzheimer, sa promesse ne tient plus : elle doit retrouver Suzor avant qu’il oublie.

Dans un Montréal enneigé, aidée par une jeune complice improbable, Jeanne retracera le chemin parcouru par Suzor et devra, pour ce faire, revisiter leur passé. La famille qu’ils n’avaient pas. Leur jeunesse en solitaire. Le voyage en Russie dont elle porte encore les cicatrices. Le trou dans le mur de la cuisine. Le carnet que la petite n’avait pas le droit de lire. Les boutons trouvés sur le trottoir.

«Je ne veux pas être la seule condamnée au souvenir de nos bonheurs», dira Jeanne dans ce doux roman sur les caprices de la mémoire, sur ces choses qu’on oublie sans le vouloir et celles qu’on choisit d’oublier.

Faits saillants

  1. Une écriture sensible et touchante

    Une narratrice à laquelle on s’attache rapidement

    Une histoire de mémoire, d’amour et d’oubli

    Des personnages secondaires colorés et bien développés

Informations pédagogiques

Époque·s

On alterne entre les années 1970 et les années 2010.

Lieu·x

Montréal, l’Oural (en ex-URSS), l’Ontario et les Îles-de-la-Madeleine

Thèmes

Amour, souvenirs, mémoire, relations intergénérationnelles, maladie, pardon

Style et construction du récit

Une narration au « je » parsemée d’extraits du carnet de la narratrice, de lettres et de fragments d’histoires racontées par un personnage secondaire.

Pistes de réflexion

  1. Proposer aux étudiant·e·s de tenir leur propre carnet d’écrivements. Quels souvenirs veulent-iels conserver et pourquoi ?

  2. À la manière du récit raconté par Fourmi, écrire une histoire à relais, où chaque étudiant·e propose un segment avant de justifier pourquoi ce dernier est « à suivre ». Lea dernier·ère étudiant·e doit s’assurer de clore le récit.

  3. Faire des recherches sur « l’Affaire du col Dyatlov » et les différentes hypothèses qui ont été suggérées pour expliquer la mort des randonneurs. Laquelle semble la plus probable ? Êtes-vous d’accord avec les conclusions des enquêteurs ? Pourquoi ?

En complément

Lectures

La petite et le vieux, roman de Marie-Renée Lavoie

Joséphine et moi, roman de Hans Magnus Enzensberger

La mémoire égarée, roman de Samantha Harvey

La balade de Jo et Alicia, roman de Christine Bertrand

La femme qui fuit, roman d’Anaïs Barbeau-Lavalette

Rap pour violoncelle seul, roman de Maryse Pagé

Pour mémoire, essai de Raphaëlle Germain et Dominique Fortier

Vers d’autres arts

Harold et Maude, film de Hal Ashby

Le papillon, film de Philippe Muyl

Du soleil plein la tête, film de Michel Gondry

Là-haut, film d’animation de Pete Docter

Away From Her, film de Sarah Polley

Extraits

  1. Page 11

    Il y a pourtant tellement de choses qu’on peut décider. Nos gestes et nos paroles, les chemins qu’on emprunte et ceux qu’on abandonne, la marque de confiture qu’on met sur nos rôties, le propriétaire de la peau sur laquelle on dépose nos lèvres, ce qu’on écrit dans un carnet le soir pour survivre jusqu’au matin. Puis il y a la mémoire, cruelle. Des odeurs, des images parfois s’impriment pour toujours, d’autres fois s’évanouissent. Les petites douleurs qu’on voudrait garder au chaud près de soi s’envolent, celles qu’on voudrait abandonner nous écrasent. Les bonheurs s’éparpillent parmi les banalités ou prennent toute la place. Nous ne choisissons pas les souvenirs qui nous empêcheront de dormir ni ceux qui nous pousseront à nous le ver. Et même lorsque nous réussissons à frotter si fort et si longtemps qu’ils semblent oblitérés, des années plus tard ils nous sautent au visage comme un clown de film d’horreur.

  2. Page 51

    Sur le pont vers chez moi, ce ne sont plus des pensées meurtrières qui m’habitent, mais la déception. C’est qu’une partie de moi, celle qui ne réfléchit pas trop, espérait que tout serait facile. Je m’imaginais arriver chez Robert, fouiller le condo et tomber sur Suzor, caché dans un garde-robe, un abat-jour sur la tête. Ou dans un coin, assis par terre, un casse-tête chinois entre les mains. N’importe quoi qui aurait signifié que tout ce temps il était resté près de moi, terré jusqu’à ce que je lui tende la main. Saint-Huges, ce n’est pas au bout du monde, mais ce n’est pas au bout de mes doigts non plus. Perdue dans mes pensées, je négocie à soixante kilomètres-heure la courbe de la mort sans même regarder la route, faisant passer Evel Knievel pour un ensemble de draps en flanelle. Je n’ai pas peur de la mort. À mon âge, il n’y a dans l’Avenir que les rêves échoués d’hier, qu’on cède aux autres en souhaitant qu’ils aient plus de chance ou de courage que nous. Pendant quarante ans je me suis occupée à ne pas vieillir, à vivre sans me soucier des douleurs, des incapacités. J’ai abordé le vieil âge comme on épluche une clémentine, lentement et en espérant qu’il n’y aurait pas de pépins.

  3. Page 95

    Elle m’avait rejointe dans la cour arrière un soir d’automne. Je ne savais même pas qu’elle devait me rendre visite et elle est apparue comme un feu d’artifice, en criant boum et en m’éblouissant de sa robe jaune moutarde et de son sourire d’un kilomètre. Elle avait pris soin de ramasser mon carnet à l’intérieur et, se fondant à moi sur ma chaise longue, elle n’avait pas attendu avant de me demander de lui en lire une page.

    — Il commence à faire noir. Tu veux lire à ma place ?

    — OK ! Mais tu sais, Mamie, je sais pas lire encore. Je connais juste trois lettres.

    — C’est parfait comme ça.

    — Et puis, Mamie, il faut que je t’avoue quelque chose… Quand je lis tes écrivements, je les invente un peu…

    — Je sais, ma douce. Je sais.

    — Nous on est allés au Planétarium avec maman !

    — T’as aimé ça ?

    — J’aimerais ça, toucher aux étoiles, un jour.

    — Tu te brûlerais…

    — Pas grave.

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