Les ombres blanches - Dominique Fortier
Fiche de lecture
Comment mesure-t-on une vie ? Peut-elle se stérer en poèmes, comme on compte les pieds dans un alexandrin ? Que reste-t-il de nous quand nous ne sommes plus ?
À sa mort en 1886, Emily Dickinson a laissé derrière elle, pêle-mêle, des centaines de textes griffonnés sur des bouts de papier que sa soeur Lavinia découvre avec stupéfaction. Elle en confiera la publication à Mabel Loomis Todd, la maîtresse de leur frère. Sans ces deux femmes, et l’apport de Susan Gilbert Dickinson, belle-soeur et amie de coeur d’Emily, le monde n’aurait jamais rien connu de cette formidable oeuvre fantôme, sans doute l’entreprise poétique la plus singulière de toute l’histoire de la littérature américaine.
Les ombres blanches reprend l’histoire là où se terminait Les villes de papier, pour en raconter la suite improbable, quasi miraculeuse : la naissance d’un livre des années après la mort de son auteure. Dans ces pages sensibles et lumineuses, Dominique Fortier explore, à travers la poésie de Dickinson, le pouvoir mystérieux qu’exercent les livres sur nos vies, et sonde le caractère à la fois fragile et nécessaire de la littérature.
Faits saillants
La narration omnisciente focalise à tour de rôle sur les différents personnages du récit.
Des poèmes d’Emily Dickinson sont intégrés au texte. Des listes d’objets et d’actions du quotidien aussi.
Les chapitres sont courts et permettent de représenter les différents points de vue des personnages.
Quelques chapitres écrits à la première personne parlent de la vie de l’auteure.
Informations pédagogiques
Époque·s
19e siècle pour la majorité du livre et 21e siècle pour les passages autobiographiques
Lieu·x
Amherst, Massachusetts
Thèmes
Poésie, mort, deuil, littérature, héritage, vie des femmes au 19e siècle, famille
Style et construction du récit
La prose est très imagée et tire parfois sur la poésie. Les événements se déroulent selon l’ordre chronologique, à l’exception des quelques incursions dans la vie de l’auteure. Le récit a principalement lieu dans les maisons des personnages.
Pistes de réflexion
Dans Les ombres blanches, des listes sont intégrées au texte. Proposez aux élèves de s’inspirer de leur quotidien et de composer des listes, pour ensuite écrire un poème en y intégrant les éléments de cette liste.
Le récit montre la vie des femmes de l’époque. Avec les élèves, identifier trois citations qui nous informent des conditions des personnages féminins du roman et commenter en groupe. Qu’est-ce qui a changé ? Est-ce que certains éléments demeurent semblables ?
L’éditeur, Tom Higginson, demande à Mabel de « corriger » les poèmes d’Emily en enlevant les majuscules et les tirets « qui n’ont pas leur place ». Ces corrections disent quelque chose de la vision de la poésie de l’époque. Discuter de ces modifications des « erreurs ». La poésie peut-être un lieu d’expérimentation et d’exploration ? La poésie doit-elle se soumettre aux mêmes règles grammaticales que le roman ? Proposer la rédaction d’une courte réflexion sur ces questions.
En complément
Lectures
Car l’adieu, c’est la nuit, recueil de poèmes traduit d’Emily Dickinson
Les villes de papier, roman de Dominique Fortier
Leaves of grass, recueil de Walt Whitman
La dame blanche, roman de Christian Bobin
Vers d’autres arts
Dickinson, série d’Alena Smith disponible sur Apple TV
Emily Dickinson : L’histoire d’une passion, film de Terrence Davies
February hour, Summer is away, Wise Orion, Time, Little hive, The son of ecstasy et Auroral light, pièces musicales de Philippe Hersant
Extraits
Page 35
Agenouillée au pied du lit, elle soulève le couvercle du coffre en camphrier semblable à ceux dans lesquels les jeunes filles accumulent ce qui sera nécessaire à leur trousseau : chemises, nappes, draps, mouchoirs. Entre ses flancs de bois, Lavinia découvre des dizaines de livrets manuscrits épais de quelques pages chacun, dont les feuillets blancs ont été cousus à la main du même petit point régulier dont on se sert pour suturer les chairs après une blessure.
Page 55
Ce que l’on peut faire avec de la neige
Des forts
Des igloos
Des balles
Des bonshommes
Des anges
Page 45
Dans un billet que son amie lui a adressé quelque quarante ans plus tôt, Susan lit :
We are the only poets, and everyone else is prose.
Qu’a-t-elle fait du poème de sa vie ?
Page 154
Parmi les arbres, certains rêvent de devenir navire, sabot, berceau, maison, balançoire, marionnette, flûte, piano. On fait de tout avec les arbres — même des livres. Les bibliothèques sont encore des forêts. Ouvrir un livre, c’est se retrouver au-dehors (de soi, du monde qui nous entoure) en même temps qu’ai plus près des êtres et de ses propres secrets, par le prodige de cet autre monde inventé ou sauvé du temps.