Madame Victoria - Catherine Leroux
Fiche de lecture
À l’été 2001, un squelette apparaît à l’orée d’un petit bois, à quelques pas de l’Hôpital Royal Victoria à Montréal. Une enquête s’amorce, qui deviendra une quête : découvrir l’identité de cette femme morte sans bruit. Mais toutes les pistes mènent à l’impasse ; celle qu’on a baptisée Madame Victoria continue d’attendre que quelqu’un prononce son nom.
Aujourd’hui, la fiction prend le relais.
À partir d’une série de portraits de femmes, Catherine Leroux décline les vies potentielles de son héroïne avec une grande liberté. D’abord nettes comme le jour, ses hypothèses plongent de plus en plus loin dans l’imaginaire, comme des flèches filant vers un point où la mémoire et l’invention se confondent,vers un minuit où tout est possible, jusqu’au dernier souffle.
Faits saillants
Recueil sur le mode de la variation musicale, où l’histoire du même personnage est reprise et chaque fois transformée.
Fiction écrite à partir d’un fait divers.
Juxtaposition de modes narratifs et de genres littéraires (historique, science-fiction, fantastique).
Avertissement : scènes de suicide, d’agression, de mort subite du nourrisson.
Informations pédagogiques
Époque·s
Tournant des années 2000, 18e siècle, 25e siècle
Lieu·x
Montréal
Thèmes
Mort, solitude, maternité, effacement, asservissement, violence envers les femmes, condition féminine.
Style et construction du récit
Récits mettant en scène madame Victoria entrecoupés d’intermèdes où on suit les personnages qui s’intéressent à son cas. Narrateur omniscient ou narrateur personnage; narration à la première ou à la troisième personne. Style vif et poétique, très évocateur.
Pistes de réflexion
Atelier d’écriture où les étudiant·es sont appelé·es à créer leur propre Madame Victoria en inventant à leur tour une vie et une personnalité à la protagoniste, comme un nouveau chapitre.
Réflexion/discussion sur le rapport entre littérature et journalisme – leurs points de croisement (romans inspirés de faits divers et reportages sur la littérature), leur rapport au réel et aux faits, le statut de la créativité, de l’objectivité dans chacune des disciplines.
Visionnement en classe du documentaire de l’émission Enquête sur Madame Victoria.
En complément
Lectures
Nous voir nous (Cinq visages pour Camille Brunelle), pièce de théâtre de Guillaume Corbeil
Guyana, roman de Élise Turcotte
L’inconnue de la Seine, poème de Vladimir Nabokov
Vers d’autres arts
Les revenants, film de Robin Campillo
Extraits
Page 77
«Reconnaissez-vous cette femme?»
Ces traits fatigués, cette mâchoire comme une armature d’acier, cette chevelure de reine. Bien sûr, disent-ils. De Québec à la Baie James, de Gaspé à Nicolet, de Kapuskasing à La Patrie, de Prince Rupert à Niagara, de Miramichi à Slave Lake, de Yellowknife à Rigaud, ils sont des centaines à avoir répondu à l’appel. Bien sûr que nous la connaissons. C’est notre grand-mère, c’est notre sœur. C’est notre voisine, la mère de nos enfants. C’est la femme qui nous a appris à coudre un bouton. C’est celle qui nous a bourrés de pouding chômeur, celle qui nous a infligé toutes ces vilaines brûlures de cigarette. C’est cette pensionnaire qui dormait tout le temps, qui fumait trop, cette voyageuse qui passait par le village chaque printemps, la paroissienne qui n’a pas payé sa dîme de 1972 à 1987. C’est la première Québécoise que j’ai embrassée.
Page 145
Une chaleur étouffante explose au centre de ma poitrine. Mes doigts s’y portent, cherchant dans le liquide poisseux qui perce mon vêtement un fil, une trame à laquelle m’accrocher. L’odeur du sang m’enveloppe, les chiens jappent plus fort. Je suis encore debout, mes jambes tiennent et la nuit s’illumine, imperceptiblement. Puis je n’entends plus rien. Rien sauf une sorte de froissement autour de ma tête, comme si le temps se déroulait de chaque côté de mon visage pour me ramener à ses débuts. Je joins les mains, je serre très fort. J’aurai été libre une heure, peut-être deux. Un grand feu de joie s’allume dans mon dos.
