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Marie Hélène Poitras
La mort de Mignonne et autres histoires - Marie Hélène PoitrasFiche de lecture
Pauvre Hope Randall : elle est née dans une famille où chaque membre reçoit sa propre vision de la fin du monde, accompagnée d’une date précise, différente pour chacun. De quoi alimenter plus d’un manuel d’histoire de la psychiatrie. Prévenue que l’apocalypse aurait lieu à l’été 1989, sa mère a cherché à fuir son destin en Lada, pour échouer à 1200 kilomètres de Yarmouth. Parties pour l’Ouest, mère et fille n’ont d’autre choix que d’attendre l’inévitable dans le bas du fleuve.
Entre en scène Michel Bauermann, ou Mickey, rejeton d’un clan qui produit du béton depuis plusieurs générations, passionnément irradié par les taches de rousseur et les 195 points de Q.I. de la belle. Hope trouvera un certain réconfort dans les longues soirées en sa compagnie au bunker familial, à l’abri des obsessions maternelles. Mais on ne peut rien prédire lorsqu’on est une Randall et qu’on a rendez-vous avec l’apocalypse.
L’auteur de Nikolski vous entraîne dans les hauts lieux du vingtième siècle (New York, Tokyo et Rivière-du-Loup) au fil d’une étonnante histoire d’amour préapocalyptique où passent David Suzuki, Albert Einstein, quelques zombies, un gourou accidentel et des kilomètres de ramens.
Bienvenue sur le tarmac, lieu de tous les impossibles.
Époque.s
De 1989 à 2009
Lieu.x
Rivière-du-Loup, New-York, Seattle et le Japon
Thème.s
L'apocalypse, la famille, la généalogie, l'amitié, le destin et la fatalité
Style et construction du récit
Le roman est séparé en 97 petits chapitres, de 2 à 6 pages chacun. Cela donne l'impression que la lecture s'effectue rapidement. La narration est parfois du point de vue de Mickey Bauerman, d'autres fois de celui d'un narrateur omniscient racontant les mésaventures de Hope Randall à la 3e personne. Le récit se déroule chronologiquement, d'un indice à l'autre, dans cette folle quête de fin du monde.
Analyser le titre permettrait, notamment, d’aborder la notion d’horizon d’attente (Hans Robert Jauss). Dans Le Petit Robert, la définition du nom masculin «tarmac» est: «Dans un aérodrome, partie réservée à la circulation et au stationnement des avions.» Il s’agit donc d’un lieu à la fois de départ et d’arrivée, où de nombreuses personnes, issues de partout et parlant différentes langues, convergent. C’est, pour ainsi dire, un lieu de transition. Comment un titre porteur d’un tel sens programme la lecture? Voir aussi comment le titre anglais, Apocalypse for Beginners, modifie les attentes du lecteur.
Exercice d’écriture: En vous inspirant des cas que l’on retrouve aux pages 17 et 18 (de l’édition en CODA), inventez les histoires de fin du monde d’autres membres de la famille Randall. Le pastiche est une façon efficace, utilisée par de nombreux auteurs, afin de s’exercer et d’affûter sa plume.
Exercice de comparaison: La littérature apocalyptique est un genre littéraire en soi; même si Tarmac ne s’y inscrit pas pleinement, il permet de l’aborder. Pour ce faire, pourquoi ne pas le comparer avec le roman (ou le film) La route de Cormac McCarthy?
LECTURES
La civilisation perdue – naissance d’une archéologie, de David Macaulay
La route, de Cormac McCarthy,
Les Chrysalides, de John Wyndham
Station Eleven, d'Emily St. John Mandel
Volkswagen blues, de Jacques Poulin
VERS D'AUTRES ARTS
1990, Jean Leloup, 1991 (chanson)
Apocalypticodramatic, Tryo, 2003 (chanson)
Le vent nous porteras, Noir désir, 2001 (chanson)
p.9
Août 1989. Ronald Reagan avait quitté la Maison-Blanche, la guerre froide tirait à sa fin et la piscine municipale extérieure était (encore une fois) fermée. Cause de la contrariété: un bris de tuyaux.
Rivière-du-Loup baignait dans le bouillon de poulet – un air jaunâtre, saturé de pollen – et j’errais dans le quartier, maussade, ma serviette de bain autour du cou. Il restait trois jours avant la rentrée scolaire, et seules quelques longueurs dans l’eau chlorée auraient pu me remonter le moral. »
p.17
Cas n° 1: Harry Randall Truman, le patriarche, avait perdu la tête à l’automne 1835, peu après le passage de la comète de Halley. Il avait annoncé le retour de Moïse à bord d’une baleinière incandescente, puis avait bouté le feu à la grange du pasteur presbytérien. Les voisins l’avaient intercepté, ligoté et expédié au Halifax Mental Asylum, où il termina ses jours dans l’aile des pyromanes et autres sociopathes.